Par Didier Bernheim, correspondant de l’Académie des beaux-arts.
Dans le cadre des consultations juridiques que je mène à la Maison des Artistes comme avocat, le contentieux opposant un artiste à sa galerie représente moins de 5 % des questions qui me sont posées. Cette statistique repose sur des milliers de consultations, au cours d’une vingtaine d’années. En comparaison le contentieux fiscal représente près de 25 % des questions, un peu plus même, que les questions sur le droit d’auteur, ce qui donne un éclairage singulier sur la condition de l’artiste. Cette faible proportion indique que les relations entre artistes et galeries sont plutôt satisfaisantes. Elle tient aussi, probablement, au fait qu’un très grand nombre d’artistes n’a tout simplement pas accès aux galeries. Cela explique en grande partie le développement considérable des solutions alternatives. Pour ne s’en tenir qu’aux galeries, citons les solutions non commerciales, telles que les galeries associatives ayant simplement pour objet de proposer un lieu d’exposition à leurs membres, les artistes exploitant leur galerie où ils ne vendent que leurs propres œuvres, souvent dans un contexte touristique. Dans le domaine commercial, les grandes galeries, celles qui ont une véritable clientèle de collectionneurs et les moyens financiers de soutenir leurs artistes, donnent très rarement lieu à réclamations. À titre anecdotique, les contrats d’exclusivité, devenus fort rares pour des raisons liées à l’économie des galeries et plus encore à la volonté des artistes de ne pas s’aliéner, ont conduit deux d’entre eux à se plaindre auprès de moi ; l’un, malheureusement décédé depuis, se plaignait de l’absence de visibilité de son œuvre entièrement accaparée par un collectionneur ; l’autre de la contrainte qu’il subissait, devenue insupportable par la production qui lui était imposée, alors qu’il se trouvait dans une totale, mais fructueuse, dépendance économique envers sa galerie, lui interdisant pratiquement de s’en libérer. La question fut résolue par une renégociation de son contrat moyennant une réduction de sa charge de production mais en contrepartie d’une baisse de sa rémunération. L’essentiel des difficultés repose sur une multitude de galeries parmi lesquelles il faut distinguer les simples loueurs de mur qui n’ont de galerie que l’enseigne et d’autres, riches surtout de l’enthousiasme et de l’amour de l’Art de leur propriétaire, mais manquant souvent de professionnalisme et plus encore de soutiens financiers. Je donne généralement le conseil aux artistes de ne pas accepter de payer pour exposer leurs œuvres, les déconvenues auprès des loueurs de murs ne sont que trop fréquentes, œuvres exposées en surnombre, sans soins et souvent endommagées. La publicité promise est absente comme toute présence de la presse spécialisée. J’ai vu promettre à un artiste, assez naïf pour le croire, la présence au vernissage, d’une chaîne de télévision publique ! Alors que des artistes de grande renommée ont rarement cet honneur. Bien évidemment, pas d’autre clientèle que celle de l’artiste lui-même, ce qui n’empêche souvent pas la «galerie » de s’octroyer 50 % sur les ventes. Les réclamations relatives aux autres galeries, celles que l’on peut qualifier véritablement de galeries car elles font un travail de promotion de l’artiste et de recherche de clientèle, sont la plupart du temps liées aux difficultés financières. Les œuvres sont généralement laissées en dépôt et la part de l’artiste payée après la vente. En l’absence de trésorerie, il arrive que l’artiste ne soit payé pour une vente que lorsqu’une autre œuvre, éventuellement celle d’un autre artiste, a été vendue. Les difficultés s’accumulant, les dernières œuvres restent impayées...
Les contrats entre artistes et galeries sont rares et se limitent à une simple feuille de dépôt, et encore, pas toujours ! Les relations du couple artiste-galerie, sont le plus souvent verbales et empreintes d’affectivité, ce qui complique la résolution des difficultés lorsqu’elles surgissent avec le temps, un peu comme dans les mariages. Je conseille aux artistes d’instaurer l’écrit dès le début des relations, car des demandes tardives sont alors vécues comme un manque de confiance par la galerie. Aujourd’hui les « mauvaises galeries » ou celles qui rencontrent des difficultés sont assez rapidement connues et les désagréments ne prennent pas trop d’ampleur. Cet article écrit, vous l’avez compris, du point de vue de l’artiste, pourrait laisser penser que, dans le couple, seuls les artistes sont victimes et les galeries coupables. Les artistes y ont sans doute aussi leur part de responsabilité mais comme ils me le confient rarement, je ne saurais en informer le lecteur.