Rencontre avec René de Obaldia, dramaturge, romancier et poète, membre de l’Académie française, et Régis Campo, membre de la section de Composition musicale.
Propos recueillis par Nadine Eghels.
Doyen de l’Académie française, René de Obaldia vient de fêter ses cent ans. À cette occasion, le compositeur Régis Campo a écrit une œuvre à partir de quatre de ses poèmes, les Innocentines. Cette composition musicale pour chœur mixte et violoncelle solo, qui renvoie à des comptines d’enfants, a été créée lors de la Séance publique annuelle des cinq Académies, le 23 octobre dernier. Elle était interprétée par l’ensemble Sequenza 9.3, dirigé par Catherine Simonpietri et le violoncelliste Henri Demarquette.
Nadine Eghels : Quel rapport avez-vous entretenu avec les beaux-arts dans votre écriture ? En quoi s’en est-elle nourrie, en quoi a-t-elle été une source d’inspiration pour les arts ?
René de Obaldia : Je suis sensible à la musique en particulier, la peinture était pour moi plus difficile d’accès. Quand je suis revenu de guerre je n’avais pas d’argent... j’écrivais de la poésie, ce n’était pas très rentable. J’aurais aimé faire de la musique ou peindre mais il aurait fallu avoir un instrument, acheter de la peinture, et cela, je ne le pouvais pas. Pour écrire il fallait juste un papier et un crayon, c’est pour cela que je suis devenu écrivain et non musicien ou peintre. Mais j’ai eu de grands amis musiciens, Olivier Messiaen, Henri Sauguet ou Daniel Lesur avec le groupe La jeune France.
N.E. : En somme, vous êtes devenu écrivain par défaut.
R.D.O. : Oui en effet mais je ne le regrette pas, il y a des grâces dont on n’est pas responsable, on remercie le ciel et ensuite il y a beaucoup de travail. Et les rencontres, qui vous forment aussi.
N.E. : Quelles sont les grandes rencontres artistiques de votre vie ?
R.D.O. : J’ai connu des tas de gens, très importants pour moi, qui aujourd’hui n’évoquent plus rien à personne. Pour moi qui vais avoir bientôt cent ans, c’est la disparition des autres qui est pénible. J’ai eu la chance d’avoir de grands interprètes pour mon théâtre. Le destin, les rencontres, c’est le mystère de la vie
N.E. : Comment réagissez-vous quand votre œuvre est le point d’inspiration d’une création artistique, comme celle que va composer Régis Campo à partir des Innocentines ?
R.D.O. : C’est toujours bien quand un autre artiste s’intéresse à votre œuvre. J’ai le plus souvent été très bien traduit dans de nombreuses langues. Au théâtre il y a eu de multiples mises en scène et parfois j’ai eu des surprises !
N.E. : Comment est née cette collaboration entre vous et Régis Campo ?
R.D.O. : C’est là aussi le hasard des rencontres. J’ai connu Régis par ma belle-fille et nous avons immédiatement eu des affinités électives.
N.E. : Régis, comment vous est venue l’idée de composer une œuvre musicale à partir des Innocentines de René de Obaldia ?
Régis Campo : Oui c’est le hasard des rencontres, je parlais avec le violoncelliste Henri Demarquette du charme qu’exerçait sur moi l’œuvre de René, et il me l’a fait connaître. J’ai tout de suite senti que nous allions bien nous entendre, et j’ai demandé à René de choisir quelques poèmes parmi les Innocentines.
R.D.O. : En fait nous les avons choisis ensemble, d’autant que certains poèmes avaient déjà été mis en musique, et je ne voulais pas répéter, j’ai aussi simplifié certains poèmes, pratiqué quelques coupes
N.E. : Combien de poèmes composent la sélection ?
R.D.O. : Cinq ou six, disons sept
N.E. : Y a-t-il eu des adaptations cinématographiques de votre œuvre ?
R.D.O. : Non, ce n’était pas ma génération, je n’ai pas connu de cinéastes et j’étais surtout attiré par le théâtre. J’ai aussi connu des peintres, comme Atlan, avec qui j’étais très lié, et Hélion.
N.E. : Est-ce que la forme même de votre écriture la prédestine au théâtre ?
R.D.O. : Non, l’écriture théâtrale est très différente de l’écriture romanesque ! Mais j’ai eu cette chance. J’ai rencontré Jean Vilar à un cocktail, il m’a dit avec sa belle voix : Obaldia, vous devriez écrire pour le théâtre. J’ai retrouvé dans une bassine à frites une pièce que j’avais écrite pour moi, du temps où j’habitais une chambre de bonne, et je la lui ai envoyée au TNP. On en a fait une lecture au palais de Chaillot, j’ai eu la chance d’avoir des interprètes extraordinaires, Maria Casarès, Georges Wilson, Jean Topar, j’en oublie, il y avait un petit public, qui a beaucoup apprécié. Vilar a alors décidé de monter cette pièce au Théâtre Récamier, qui était son théâtre d’essai. Cela a eu beaucoup de succès, et j’ai été sacré auteur dramatique. J’ai été pris à mon propre jeu, et j’ai continué à écrire pour le théâtre.
N.E. : Comment s’intitulait cette pièce ?
R.D.O. : Genousie. J’avais inventé un pays imaginaire, avec une langue imaginaire, le genousien. C’était désopilant. Il y avait en même temps une grande histoire d’amour onirique,c’était il y a une cinquantaine d’années.
N.E. : Pour les autres compositions musicales à partir de votre œuvre, étiez-vous aussi intervenu dans le choix des textes ?
R.D.O. : Je demandais à entendre et j’ai refusé beaucoup de choses. J’étais ravi d’être mis en musique par Sauguet, et c’est Madeleine Renaud qui disait des Innocentines à la radio. Il y avait aussi Gérard Calvi. J’ai été gâté par de merveilleux interprètes...
N.E. : Merci beaucoup pour cet entretien.
R.D.O. : Vous avez épuisé le sujet mais pas l’auteur !
La vie est un songe...
Par Régis Campo, membre de la section de Composition musicale
Ma première rencontre en 2017 avec René de Obaldia est fulgurante et magnifique. Depuis une jeune et solide amitié est née : chaque jour elle m’émeut profondément. Nos sujets de conversation onirique sont fort divers : Olivier Messiaen, le porto, Michel Simon, les belles femmes, l’étrangeté du monde (qui est un songe !), Alexandre Vialatte, les courses de puces dans un stalag, la capacité à s’ébaudir...
Il y a des déclarations d’amitié comme des déclarations d’amour. Ainsi j’ai composé pour chœur et violoncelle d’après quelques poèmes extraits des Innocentines. L’œuvre est créée par le violoncelliste Henri Demarquette et l’ensemble Sequenza 9.3 dirigé par Catherine Simonpietri : c’est un témoignage d’amitié en notes de musique suspendues pour mon aîné académicien. Combien son art est rempli de grâce, d’humour, d’incongruités et de sentiments profonds. L’un des poèmes mis en musique me touche particulièrement : Moi, j’irai dans la lune. Il rejoint ce mot de Chesterton qu’aime à citer René de Obaldia : « Si les anges volent, c’est parce qu’ils se prennent eux-mêmes à la légère ».
Et j’apprends beaucoup, benjamin académicien, de la juvénilité et de la sagesse légère de mes confrères des cinq académies - magnifiques créateurs et fidèles compagnons.