Par Laurent Petitgirard, Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts
Lorsque l’on évoque l’art brut, certains peuvent imaginer une pulsion, un geste irréfléchi, comme un cri.
Il y a évidemment de nombreux exemples qui correspondent à cette définition, mais que dire de ces créations architecturales, œuvres conçues et réalisées entièrement par un seul homme, tel le Palais idéal du facteur Cheval ou les tours de Watts de Simon Rodia, dont la construction s’étend sur des décennies.
La similitude de ces deux démarches, distantes de quarante années, est étonnante.
Deux hommes d’origine modeste, avec une éducation rudimentaire qui vont passer 33 ans à réaliser entièrement seuls leur rêve.
Simon Rodia, d’un caractère très difficile, était peut-être plus revendicatif, presque anarchiste alors que le facteur Cheval était plutôt un rêveur éveillé.
Mais l’un comme l’autre ont été décriés, il suffit de citer le rapport des fonctionnaires du ministère des Affaires culturelles lors de la proposition de classement du Palais idéal au titre des monuments historiques : « Le tout est absolument hideux. Affligeant ramassis d’insanités qui se brouillaient dans une cervelle de rustre... », ce qui heureusement n’empêchera pas Edmond Michelet de le classer, en 1969, dans la continuité des démarches initiées par André Malraux.
Les Watts Towers ont de leur côté échappé à la destruction, ordonnée par la Ville de Los Angeles, grâce aux très importants soutiens de nombreux artistes, architectes et personnalités diverses.
Mais c’est surtout un test, réalisé en 1959 pour évaluer la solidité des tours (dont la plus haute culmine à plus de 30 mètres), qui a démontré l’incroyable résistance de ces constructions à base de câbles d’acier et de ciment.
L’argument de la fragilité ne tenant plus, la municipalité a dû s’incliner.
Lorsqu’on a la chance de se retrouver face à cet ensemble, dans le sud de la ville, on est saisi par la puissance du geste, par l’imagination, par le contraste entre l’acier, le béton et les coquillages qui donnent une incroyable sensation de liberté.
Mais c’est une liberté qui provient de l’ignorance des règles.
Il en existe une autre qui consiste à savoir et à oublier que l’on sait !