Par Jean-Clarence Lambert, poète, essayiste, critique d’art et traducteur.
L’été 1972 se tient au musée d’Art et d’Industrie de Saint-Étienne l’exposition « Compagnons de route, l’œuvre poétique de Jean-Clarence Lambert » illustrée par les artistes contemporains.
Bernard Ceysson qui en est alors le directeur écrit : « Exposition quelque peu insolite que celle-ci, qui réunit autour d’un poète des peintres et des sculpteurs. Ses amis avant tout (il a écrit sur leurs œuvres) mais aussi ses compagnons de route puisque ensemble ils ont conjugué l’image et l’écrit, le poème et l’œuvre plastique dans des livres splendides, raffinés ou cocasses. C’est donc l’exposition de l’amitié. Mais ce n’est pas seulement cela : il s’agit aussi de voilà bientôt vingt ans d’art moderne, c’est-à-dire d’un combat mené par des artistes et un poète. »
Dans un ouvrage collectif consacré au poète, Françoise Py rappelle : « L’exposition offrait en dialogue avec les livres – et livres-objets – des œuvres de Alechinsky, Baj, Bellegarde, Berlewi, Bertini, Cieslewicz, Corneille, Debré, Esmeraldo, Filhos, Krasno, Lapoujade, Morano, Mortensen, Naves, Osa Scherdin, Rancillac, Saura, Silva, Sonderborg, Soulages, Sugaï, Ubac, Vasarely : quelques-uns des artistes majeurs du siècle, surréalisme, Cobra et non-figuration. »
Dans un préambule, Jean-Clarence Lambert expliquait : « Après la vertigineuse ouverture du « Coup de dés » de Mallarmé, la poésie a pu se délivrer progressivement des habitudes, contraintes et conventions (...) que l’écriture imprimée a imposées. La poésie s’insère de plus en plus malaisément dans les bibliothèques. Sa vraie vie est ailleurs (...) Échappant au domaine proprement littéraire, elle a trouvé un nouveau lieu en osmose avec les arts plastiques. Car le livre qui apparie un poète et un artiste n’est pas un simple livre illustré. C’est un travail duel, une ambition, une tentative commune. Valéry avait dit du Symbolisme que « c’était l’ambition partagée par plusieurs poètes de reprendre à la musique leur bien ». Privilégier l’oreille et les valeurs auditives du langage ?
Il se pourrait bien que depuis les Futuristes et Apollinaire, à cause d’Éluard et des Surréalistes, la vue soit devenue le sens directeur de la recherche poétique. Il en est résulté des prolongements remarquables, qui ont engagé aussi bien le poète que les artistes. Pour en arriver, entre autres, au poème-objet, au livre-objet et à l’objet-poème. »
Plusieurs expositions de Lambert en France et à l’étranger, « Les mots et le visible » (Artcurial 1994), « 50 ans de poésie partagée, Jean-Clarence Lambert et ses compagnons d’œuvre » (galerie Arenthon 1998), « Rencontres avec Cobra » (musée d’Amstelveen 1997) inspirent à Françoise Py le commentaire suivant :
« En pensant à ce que Lionello Venturi écrivait dans sa classique Histoire de la critique d’art à propos de Baudelaire : « la sensibilité artistique, c’est-à-dire une communauté d’expérience avec les artistes, est la source nécessaire de l’intuition critique », on notera dans l’intitulé des expositions le passage de « compagnons de route » à « compagnons d’œuvre »... »
C’est en 1959 que Lambert publie son premier recueil de poèmes. Illustré par Soulages, il se rattache à l’abstraction lyrique.
Un lyrisme que le poète développe dans la suite Elle c’est-à-dire l’aube, intégrée à Dépaysage et illustrée de quatre lithographies de Corneille, peintre Cobra avec lequel Lambert collaborera toute sa vie. Tous deux infatigables voyageurs parcourant le monde, ils sont à la recherche respectivement à travers les mots, les formes et les couleurs, du paradis terrestre et de la Femme.
Lambert écrit en accompagnement de son exposition « Les peintres du dépaysage » (Paris, galerie La Roue, mars 1959) :
« Les couleurs et les formes, nul besoin, pour les douer de vie, d’avoir recours à la ressemblance, de les situer dans un paysage. Elles sont directement, aussi directement que possible, la vie-même, manifestée à l’état pur. La peinture ne représente plus le paysage, elle présente le dépaysage, l’image intérieure, vivante et vécue. »
La pénétration des arts entre eux, poésie, arts plastiques et musique, est un moyen de connaissance irremplaçable dont témoigne son livre Le Voir-dit, réunissant textes critiques et poèmes avec des illustrations, des dessins dus aux artistes commentés : Corneille, Alechinsky, Sugaï, Duncan, Vielfaure, Lapoujade, Viseux, Sondenborg, augmentés de deux suites graphiques avec leurs textes poétiques : La fin de la ressemblance (Gianni Bertini) et Éléments pour la reconstitution d’un acte d’amour (Achille Perilli). ■
Jean-Clarence Lambert en poésie, Daniel Leuwers - Françoise Py - Hervé Pierre Lambert - Jean-Yves Bosseur, 2016, Éd. Bookelis Copernic
Extraits choisis par Lydia Harambourg avec l’amicale autorisation de Jean-Clarence Lambert