Entretien avec Raphaël Pichon, fondateur et directeur de l’Ensemble Pygmalion.
Nadine Eghels : Comment est née votre passion pour le chant choral ?
Raphaël Pichon : Quand j’étais enfant, j’ai eu la chance d’avoir une école musique-études à côté de chez mes parents et j’ai très tôt appris le violon. On a vite compris que j’étais hermétique à la pratique individuelle et deux ans plus tard le professeur de chorale m’a proposé d’intégrer une maîtrise de jeunes garçons. Nous avons donné la Passion selon Saint-Jean de Bach et ce fut une révélation qui a déterminé à la fois ma vocation de musicien et ma passion pour le chant choral. Le phénomène de construire un son à plusieurs, le sentiment d’être un pion au sein d’une grande architecture sonore, furent déterminants pour le reste de ma vie de musicien.
N.E. : Avez-vous aussi chanté en soliste ?
R.P. : Adolescent j’ai beaucoup chanté dans cette maîtrise, appris le piano, l’orgue et le clavecin, j’ai aussi été répétiteur, et puis j’ai eu une courte carrière comme chanteur soliste ; j’étais contreténor centré sur le répertoire de la musique ancienne et j’ai eu la chance de pouvoir faire quelques rôles à l’opéra, et dans des oratorios, comme contreténor soliste.
N.E : Cela vous plaisait plus ou moins que la pratique chorale ?
R.P. : Les deux pratiques sont très complémentaires, et cela m’a permis d’apprendre les rudiments du métier de chef de chœur en étant moi-même au contact de différents chefs et au sein de différents chœurs. De l’autre côté du miroir, en tant que chanteur, on apprend très vite ce qu’il faut faire et ne pas faire en tant que chef !
N.E. : Comment, de chanteur, devient-on chef de chœur ?
R.P. : Depuis l’adolescence j’avais une curiosité profonde pour la musique, très vite est venue l’envie d’avoir mon propre groupe afin de pouvoir la restituer à ma façon. En fait la question ne s’est pas posée, c’était une voie naturelle !
N.E. : Comment est né le Chœur Pygmalion, quel répertoire travaille-t-il, quelle pratique propose-t-il ?
R.P. : Depuis quelques années, j’étais encore étudiant au Conservatoire, j’avais envie de commencer une aventure chorale avec quelques amis musiciens et chanteurs rencontrés au sein des différents groupes dans lesquels j’ai moi-même chanté. Un festival consacré à Bach a dû remplacer au pied levé un chœur qui avait annulé un concert, et ce fut l’occasion : j’ai réuni autour de moi tous ces chanteurs venus d’horizons variés et nous avons relevé le défi. Et monté ce groupe, le Chœur Pygmalion.
N.E. : D’où vient ce nom ?
R.P. : C’est une référence à un petit opéra ballet de Jean-Philippe Rameau. J’appréciais aussi le lien avec le mythe originel de Pygmalion, ce sculpteur qui travaille inlassablement à sculpter les contours d’une femme ; ensuite Aphrodite, la déesse de l’amour, touchée par tant d’obstination, va intervenir pour donner vie à cette statue. Pour moi ce mythe reflète bien notre métier d’artisan de la musique, qui consiste à sculpter, au cours des répétitions, la matière sonore, à lui donner des contours et du relief, en espérant qu’au moment du concert elle prenne vie.
N.E. : Quel est le répertoire privilégié du Chœur Pygmalion ?
R.P. : Nous avons plusieurs répertoires mais nous sous sommes spécialisés dans les grandes filiations du répertoire allemand et germanique, de Heinrich Schütz à Johannes Brahms et de Jean-Sébastien Bach à Felix Mendelssohn : un travail sur la musique baroque mais qui nous permet de visiter aussi le répertoire romantique allemand, Schubert, Bruckner… En plus de cela, nous avons inauguré depuis quelque temps un travail sur l’opéra français à travers Jean-Philippe Rameau.
N.E. : Comment fonctionne l’organisation interne du chœur, combien de membres comporte-t-il ?
R.P. : En fonction des productions, entre 20 et 50, tous professionnels et intermittents, nous n’avons pas de troupe permanente. Ce qui me tient à cœur, c’est de trouver un équilibre entre des personnalités amoureuses du travail choral, avec une propension à l’écoute et attentives aux autres, et des vraies personnalités musicales plus autonomes qui peuvent assumer une partition de soliste. Un autre équilibre m’importe : à la fois constituer un groupe très fidèle et ainsi construire l’identité sonore d’un groupe, et en même temps, en fonction du répertoire abordé, avoir la liberté d’intégrer des profils de chanteurs adéquats ou complémentaires.
N.E. : Vous avez été lauréat du Prix de la Fondation Bettencourt Schueller en 2014, que vous a-t-il apporté ?
R.P. : Ce prix apporte une forme de reconnaissance très appréciable car il est relié à l’Académie des Beaux-Arts, et donc à notre histoire et à notre culture. Le recevoir sous la Coupole de l’Institut, c’est se sentir très modestement, et de manière bien fugace, inscrit dans cette filiation, et ce fut pour Pygmalion un moment important. D’autant qu’il n’y a pas beaucoup de prix de ce type, le recevoir nous distingue forcément.
N.E. : Quelles sont aujourd’hui vos perspectives ?
R.P. : Nous allons visiter des formes nouvelles pour nous, comme l’opéra mis en scène… L’été dernier, nous avons déjà créé au Festival d’Aix-en-Provence un spectacle centré intitulé Trauernacht, c’est un ensemble d’extraits de cantates de Bach que nous avons réunis, de sorte qu’ils racontent une histoire que nous avons mise en scène. Le premier opéra de Rameau, Dardanus, sera mis en scène à Bordeaux et à Versailles, ce sera un événement important de notre prochaine saison. Il y a aussi l’ouverture de notre répertoire avec les premiers projets consacrés à Mozart, à Mendelssohn. Et beaucoup de nouvelles aventures internationales qui vont nous appeler en Europe, en Amérique, en Asie. Sans oublier des collaborations avec d’autres formes d’expressions, des projets avec le monde du cirque, de la danse. Beaucoup de choses très variées pour l’avenir, et qui nous tiennent très à… chœur !