Par Lydia Harambourg, historienne et critique d’art, correspondant de la section de Peinture
Leur seul caractère commun est le don d’emprunter d’autres voies que celles de l’art homologué
Jean Dubuffet (1)
En 1947, le peintre Jean Dubuffet (1901-1985) inaugure le Foyer de l’Art Brut dans les sous-sols de la galerie René Drouin, place Vendôme à Paris. C’est deux ans plus tard, en 1949, qu’il précise sa définition de l’art brut dans L’art brut préféré aux arts culturels qui a valeur de manifeste en accompagnant le catalogue de la première exposition de la collection de la Compagnie de l’Art Brut à la galerie Drouin.
Dès 1945, il avait entrepris un voyage en Suisse pour visiter les asiles et hôpitaux psychiatriques, des prisons, rencontré des médecins, artistes, conservateurs de musées, et noué des liens d’amitié. Le nom avait émergé sous sa plume pour baptiser des œuvres d’aliénés et de marginaux qu’il collectionne depuis les années 1920, et que ses amis, Raymond Queneau et Jean Paulhan contribuent à lui faire alors connaître. Tel Augustin Forestier interné à Saint-Alban-sur-Limagnole (Suisse) où une exposition était organisée en juillet 1945, « Trait d’union, les Chemins de l’art brut ». La même année Dubuffet rend visite à Antonin Artaud interné à Rodez.
Toujours en 1947, il rédige et publie le premier fascicule de sa collection, Les Barbus Müller et autres pièces de la statuaire provinciale, consacrée aux sculptures anonymes désignées sous le nom de Barbus Müller, du nom du célèbre collectionneur suisse Josef Müller qui les avait acquises dans les années 1940. Transféré en 1948 dans un pavillon des éditions Gallimard, 17 rue de l’Université, le Foyer de l’Art Brut devient la Compagnie de l’Art Brut qui présentera des expositions jusqu’en 1951, date à laquelle elle est dissoute et transférée chez le peintre Alfonso Ossorio qui la conserve à East, près de New York. André Breton venait d’en démissionner, il était un des membres fondateurs avec Dubuffet, Jean Paulhan, Charles Ratton, Henri-Pierre Roché, Michel Tapié, Edmond Bomsel.
Rapatriée en 1962, la collection est installée à Paris dans l’immeuble qui abrite le siège de la Fondation Dubuffet, 137 rue de Sèvres. Face aux atermoiements de l’administration française, Dubuffet offre la collection de La Compagnie de l’Art Brut, riche de plus de cinq mille œuvres, à la ville de Lausanne. Installée dans le château de Beaulieu, elle est inaugurée en 1976, avec une extension « La Neuve Invention » ouverte en 1982. Michel Thévoz (auteur d’un ouvrage L’Art Brut aux éditions Skira, 1975) est nommé conservateur et le restera jusqu’en 2001. Lui succèderont Lucienne Peiry jusqu’en 2011, puis Sarah Lombardi.
Des symposiums et des colloques sur l’art brut ont lieu dans tous les pays. En 2005 a lieu « Dubuffet et l’Art Brut » à Düsseldorf et au LaM (Lille Métropole - Musée d’art moderne, d’art contemporain et d’art brut).
En raison de travaux de rénovation, le musée de Lausanne est fermé d’avril à septembre 2019, mais ses collections sont présentées au Mucem à Marseille et à Amsterdam. ■
1- in Art brut préféré aux arts culturels, Prospectus et tous écrits suivants, T1, Paris, 1967.