Questions à Guillaume Cerutti, Président de Christie’s International.
On ne présente plus la maison Christie’s, la plus importante société de ventes aux enchères. Dès sa création, à Londres au milieu du XVIIe siècle, la vente d’œuvres d’art y est présente. Quel espace cela représente-t-il, comparativement aux autres biens et comment cela a-t-il évolué depuis ?
Le fondateur de Christie’s, James Christie, a tenu sa première vente à Londres le 5 décembre 1766. Aujourd’hui la société dispose de plus de 50 bureaux et d’une dizaine de salles de vente dans le monde. Elle tient plus de 300 sessions d’enchères annuelles dans environ 80 catégories, des antiquités jusqu’à l’art contemporain, en passant notamment par les tableaux anciens et modernes, les arts décoratifs, les livres et manuscrits, les tableaux anciens, les arts d’Asie, les arts d’Afrique et d’Océanie, mais également les bijoux, les montres, les vins, et même, depuis quelques années, les sacs à main « vintage ». Si l’activité de vente aux enchères d’œuvres d’art reste la dominante de la maison, Christie’s a également développé ses ventes de gré à gré, et offre à ses clients une gamme étendue de services, notamment en termes d’inventaire de collections et de facilités financières.
Au début 2017, vous avez succédé à Patricia Barbizet aux commandes de l’entreprise. Quels sont les objectifs que vous vous fixez désormais, en particulier en ce qui concerne les œuvres d’art ?
Adapter la société à un marché de l’art devenu pleinement international, avec notamment la montée en puissance depuis une décennie de la clientèle asiatique. Améliorer en permanence la qualité des services offerts à nos clients. Saisir les opportunités offertes par le développement du numérique. Jouer un rôle d’acteur culturel au-delà de notre vocation commerciale, notamment à travers nos actions dans le domaine de l’éducation. Enfin, préserver et accentuer le statut de maison de référence qui s’attache à Christie’s, de par son chiffre d’affaires et son prestige.
Les sommes « extraordinaires » atteintes par certaines ventes, ces dernières années, et leur inévitable sur-médiatisation n’incitent-elles pas vendeurs et acheteurs à privilégier les ventes aux enchères, aux dépens des autres acteurs du monde de l’art, les galeries, en particulier ?
Il est exact que les grandes ventes sont un moment de grande visibilité médiatique pour les maisons de vente aux enchères. Mais les galeries et les marchands ont leurs propres atouts, et je considère pour ma part que nous sommes, ensemble, davantage complémentaires que frontalement concurrents. Un très grand nombre de nos clients sont également actifs ou en relation avec des galeristes ou des marchands. Dans le domaine de l’art contemporain, le rôle des galeries est absolument fondamental pour accompagner les artistes dans la durée et développer leur présence dans les collections privées et publiques, bien avant que les enchères puissent prendre le relais et favoriser l’essor d’un marché secondaire. Sans Ambroise Vollard, Paul Durand-Ruel, Daniel-Henry Kahnweiler, Louise Leiris, Pierre Matisse, Jeanne Bucher, Aimé Maeght, Denise René, et tant d’autres qui jouent aujourd’hui le même rôle vis-à-vis des artistes du présent, l’activité des maisons de vente aux enchères ne serait pas ce qu’elle est devenue.
Les salons et foires internationaux d’art contemporain, événements auxquels vous associez certaines ventes, vous sont-ils devenus incontournables ?
Indéniablement. Ils sont devenus des temps forts du marché de l’art, et vous avez raison de souligner que les maisons de vente se sont mises au diapason. Ainsi, chez Christie’s, nous organisons des ventes spécialisées pendant le Salon du Dessin, la Biennale des Antiquaires et la FIAC à Paris, pendant Frieze à Londres, et pendant les deux foires annuelles de la TEFAF à New York. L’effet conjugué de ces foires et de nos ventes aux enchères démultiplie l’effet d’attraction pour les clients, ce qui je pense est mutuellement bénéfique.
Il est souvent dit que le rapport des artistes à l’argent a changé, percevez-vous une influence ou une incidence notable de la « marchandisation » dans la création artistique contemporaine ?
La réponse n’est pas aussi simple que la question. Il est incontestable que pour certains artistes très recherchés, le développement du nombre d’acheteurs et la médiatisation ont changé la donne. Mais on observe aussi une grande diversité de situations, et la majorité des artistes demeure dans un schéma traditionnel, qui exige un travail patient, souvent difficile, d’accompagnement de leurs créations, de développement de leur présence dans les collections privées, de reconnaissance dans les collections publiques et dans les expositions. Et il faut savoir aussi, quand on travaille sur le marché de l’art, faire la part entre ce qui relève de l’instant, c’est-à-dire le prix qu’une œuvre peut atteindre lors d’une vente aux enchères, et ce qui relève du travail du temps, qui va révéler la vraie place de l’artiste dans l’histoire de l’art.