Idem & item, de la lithographie à la galerie

Entretien avec Patrice Forest, producteur, galeriste et éditeur, par Nadine Eghels.

Nadine Eghels : Nous sommes ici, en plein Paris, dans près de 1 500 m2 d’ateliers datant du XIXe siècle et plus précisément de 1881. Quelle est l’histoire de ce lieu extraordinaire ? 

Patrice Forest : Oui, 1881, la date de naissance de Picasso ! Le célèbre lithographe Fernand Mourlot était mort en 1988, son fils a continué quelques années puis il a voulu vendre, mais il voulait que la famille conserve ce nom historique. Notre maison d’édition, créée il y a tout juste trente ans, en 1987, et la galerie s’appelant Item, nous avons donc baptisé Idem l’atelier d’impression. Il est mis à la disposition de ceux qui veulent s’en servir pour faire un travail de qualité.

Très vite l’objectif d’Item fut de se tourner vers la production. En effet les artistes créent seuls, mais quand ils trouvent un relais pour les y aider, leur travail se trouve très vite amplifié ; nous avons choisi de travailler dans le domaine de l’édition d’art, de la lithographie, de toutes sortes de multiples. Assez vite on a trouvé des artistes qui nous intéressaient : Jean-Michel Alberola, Miquel Barcelo, Sophie Calle, Philippe Cognée pour les Français, et des artistes étrangers Paul McCarthy, Raymond Pettibon, Richard Serra, David Lynch... ainsi que beaucoup de jeunes artistes qui sont venus nous rejoindre depuis. Notre spécificité, dès le départ, c’était d’offrir un outil qui permet de diffuser les œuvres dans un souci constant de qualité. Ici, l’artiste se voit proposer de travailler ses créations avec cet outil exceptionnel.

Depuis 20 ans, nous nous sommes installés dans cet atelier, rue du Montparnasse, et cela nous a donné une amplitude extraordinaire. Les artistes qui entrent ici trouvent une énergie, une aspiration qu’ils trouvent rarement ailleurs. Ils ont naturellement tous leur atelier personnel qui est une sorte de refuge, mais ce lieu de travail où nous les accueillons a gardé quelque chose de son illustre passé, qui est dans l’air. Ces machines ont imprimé Picasso, Chagall..., les artistes y trouvent une source d’inspiration et sans le savoir eux-mêmes déposent quelque chose. C’est un formidable moulin dans lequel tout le monde se retrouve, peintres bien sûr mais aussi acteurs, réalisateurs, poètes... et voilà comment, à Montparnasse, cette histoire continue d’exister et, nous l’espérons, pour longtemps encore.

 

N.E. : Les artistes qui viennent travailler ici, dans les ateliers Idem, exposent ensuite dans la galerie Item ?

P.F. : Non pas nécessairement, l’atelier Idem travaille pour différents éditeurs, dont des galeries parisiennes, des fondations, des musées, nous avons aussi des clients internationaux, des artistes qui viennent du monde entier et qui utilisent l’outil. Nous avons choisi de ne pas réserver notre atelier à nos propres productions, ce qui est enrichissant pour tout le monde !

 

N.E. : Quelle est alors la ligne de la galerie Item ?

P.F. : C’est la volonté d’utiliser l’estampe pour mettre l’art contemporain à la portée du plus grand nombre. On peut y acquérir une œuvre pour un coût modique. Ce qui n’empêche pas Item d’exposer aussi des œuvres originales, nous exposerons d’ailleurs prochainement l’artiste Christelle Tea qui a obtenu un prix de dessin à l’Académie des beaux-arts et qui a fait de superbes dessins de tout l’atelier... on pourra acquérir des œuvres originales, ou bien se procurer des lithographies de douze de ses magnifiques dessins, imprimées sur les presses de l’atelier Idem.

 

N.E. : Le métier de galeriste a beaucoup évolué ces dernières années, comment le percevez-vous, et quel est, selon vous, son sens aujourd’hui ?

P.F. : Nous sommes galeristes et éditeurs, c’est-à-dire que nous donnons les moyens à l’artiste de prolonger son œuvre par une technique spécifique. Un peu comme un producteur de film choisit ses acteurs, son réalisateur, nous allons voir un artiste dont le travail nous intéresse et nous lui proposons de sortir de son atelier, et du coup une équipe travaille avec lui. Mais les musées eux aussi évoluent, ils ne sont plus simplement des lieux d’exposition mais interviennent dans la production des œuvres et permettent aux artistes de voir leur travail amplifié. De plus en plus, les galeries accompagnent les artistes dans la production des œuvres, ou même en amont.

 

N.E. : Comment conciliez-vous tradition et modernité, entre vos machines qui ont plus de 120 ans, les technologies toujours plus rapides et les œuvres qui arrivent sur fichiers électroniques ?

P.F. : Les machines ont 120 ans mais les hommes sont d’aujourd’hui ! Donc on s’adapte, tout simplement, et heureusement, voilà pourquoi l’atelier a encore de belles aventures à vivre.

idemparis.com

David Lynch dans les ateliers Idem. Photo DR
David Lynch dans les ateliers Idem.
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Les ateliers où ont été conservés les arbres et poulies autrefois entraînés par des courroies. Photo DR
Les ateliers où ont été conservés les arbres et poulies autrefois entraînés par des courroies.
Photo DR
La galerie Item. Photo DR
La galerie Item.
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