Le soutien à la création > Les résidences artistiques
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Fidèle à l’esprit de Paul Marmottan, qui fut l’un des pionniers des études napoléoniennes, l’Académie des beaux-arts propose dans son ancienne bibliothèque personnelle, la Bibliothèque et Villa Marmottan, 2 résidences à destination des chercheurs qui travaillent sur le Premier Empire et la première moitié du XIXe siècle en Europe, ainsi que 3 artistes dans des ateliers-logements qui viennent d’être créés.
La Bibliothèque et Villa Marmottan poursuit sa métamorphose
Par Adrien Goetz, de la section des membres libres de l’Académie des beaux-arts, directeur de la Bibliothèque et Villa Marmottan
Une bibliothèque et des ateliers d’artistes au milieu d’un jardin : le chantier entame sa deuxième phase, l’occasion de faire le point sur cette action de l’Académie.
Dans l’esprit de son fondateur, le site de la Bibliothèque et Villa Marmottan demeure un lieu de recherche et d’étude consacré à la première moitié du XIXe siècle européen. Le site était resté fermé depuis la fin de la délégation auprès de la ville de Boulogne-Billancourt en 2018 ; sa réouverture se prépare. Les bâtiments, en partie inscrits au titre des monuments historiques, sont en train d’être restaurés, mais l’Académie s’emploie aussi à en restaurer le sens. Depuis la fin du la « phase 1 » du chantier, cinq logements permettent à des artistes et à des chercheurs de travailler ensemble. Ils se côtoieront bientôt dans un jardin original – dont le dessin nous a été offert par un Louis Benech enthousiaste – en se remémorant l’utopie intellectuelle si séduisante inventée ici même par Paul Marmottan, qui légua cet ensemble à l’Académie en 1932.
Le jardin, ce sera bien sûr la dernière étape, notre « phase 3 », mais j’ai déjà demandé à Chaalis des boutures du rosier « Catherine Meurisse » et l’Académie des sciences va nous envoyer la référence botanique de leur rosier « Louis Pasteur » qui fleurit dans la jolie maison d’Arbois, dont j’ai eu la chance de découvrir le chantier, très comparable au nôtre, en compagnie de Pascale Cossart, Secrétaire perpétuelle honoraire, et de Tâm Mignot, nouveau confrère élu en décembre. À Arbois aussi, un édifice ancien, « maison des illustres » également, est scrupuleusement restauré tandis que la demeure voisine sera consacrée aux problèmes actuels de la biologie, à destination d’un large public.
La salle de lecture de notre bibliothèque est demeurée ouverte (sur rendez-vous) aux historiens qui souhaitaient accéder aux fonds des livres et des estampes durant les travaux. Ceux-ci ont d’ores et déjà donné un air nouveau à l’un des deux bâtiments, la villa, longtemps demeure du directeur, où se trouvent désormais trois appartements-ateliers pour les artistes qui y seront accueillis chaque année. Cette villa, qui selon les lumières ressemble à une palazzina de Toscane, une maison de Londres ou un petit cube blanc perdu dans la campagne aux environs de Pétersbourg, a retrouvé sa teinte d’origine, ses huisseries vertes, sa frise de griffons qui peu à peu s’effritait. Les lions qui encadrent le perron avaient failli périr eux aussi, victimes du gel ; les voici prêts à affronter les luttes du XXI e siècle. À l’intérieur, les faux marbres et les panneaux ornementaux ont fait l’objet de tous les soins de l’équipe de restaurateurs que conduit l’impeccable Stéphanie de Ricou ; les cadres des peintures ont eu droit à une restauration complète grâce à Nicolas Delarce et Victorine d’Arcangues.
Bientôt, les salles d’exposition, dans le bâtiment qui donne sur la place Denfert-Rochereau à l’orée du quartier des Princes à Boulogne, pourront accueillir des manifestations patrimoniales, } mais elles permettront aussi de montrer les travaux de l’ensemble des artistes en résidence dans les divers lieux qui dépendent de l’Académie. L’auditorium – baptisé « auditorium Bruno Foucart », en mémoire de celui qui fut si longtemps le directeur scientifique de la bibliothèque – s’ouvrira pour des concerts, des colloques, des conférences, des présentations de livres...
La petite équipe combattante et engagée qui conduit avec moi cette métamorphose se compose de Louis Paris, formé à l’École nationale des chartes, Brice Ameille, normalien qui vient de publier une synthèse très remarquée Les impressionnistes et la peinture ancienne (Sorbonne Université Presses), France Lechleiter, historienne de l’art qui avait soutenu son doctorat sur les « envois de Rome » sous la direction de Bruno Foucart et Benjamin Buisson, archéologue formé lui aussi à la Sorbonne. Tous ont accepté de changer de métier pour quelques mois et, en dialogue avec la talentueuse Jennifer Didelon, architecte du patrimoine, accompagnée de sa consœur Loïse Lenne, se passionnent pour ce chantier qu’elles mènent afin de sauver cet ensemble si fragile en respectant le génie du lieu et son harmonie.
Des chercheurs venus de tous les horizons
Le site vit ainsi depuis trois ans au rythme des chercheurs qui y sont joyeusement accueillis au milieu des artisans, des plâtriers, des maçons, mais aussi des restaurateurs de l’Institut national du patrimoine invités pour des « chantiers-école ». Loin de faire double emploi avec les bourses proposées par la Fondation Napoléon – avec laquelle nous travaillons en bonne intelligence –, ces résidences de dix mois s’adressent aux spécialistes de tous horizons, historiens de l’architecture, de la littérature, de la musique, du décor intérieur, des spectacles... C’est ainsi qu’ont déjà été invités depuis trois ans des étudiants originaires de France, mais également de Belgique, d’Italie, d’Espagne, de Russie ou des États-Unis.
Depuis le 1er février, la maison abrite trois artistes qui, avec nous, « essuient les plâtres » – une compositrice, une dessinatrice et un sculpteur –, en acceptant de s’accommoder des engins de chantier et d’un peu de bruit certains matins. L’un de ces trois ateliers a bénéficié d’un remarquable mécénat de la fondation Marc Ladreit de Lacharrière, sans laquelle ces travaux n’auraient pas été envisageables. Ainsi ont été rétablis, au sommet de l’édifice, une verrière ancienne dont certains éléments manquaient, procurant aux créateurs une belle lumière zénithale et de jolies portes ornées de Victoires brandissant des lauriers, promesse d’avenir pour les artistes qui viendront ici. Constance Guisset, designeuse en vue dont j’avais beaucoup admiré la rétrospective personnelle au musée des Arts décoratifs en 2017, nous a offert tables, fauteuils, canapés, lampes, têtes de lits – ces dernières données par son éditeur, la maison Tréca. Ces meubles, souvent des prototypes uniques imaginés dans son atelier, font de cette demeure un lieu dédié à l’art de vivre du passé et du présent.
S’engage cette année une autre phase de cette belle entreprise : la restauration de la bibliothèque, de ses salles historiques et de leurs décors néo-Empire – on parlera un jour de style « Empire Marmottan », coloré et inventif, aux antipodes de l’image toute faite de l’ennuyeux « Empire » qui perdura dans les tribunaux et préfectures – ainsi que la réfection des espaces plus récents, qui doivent être mis aux normes d’aujourd’hui pour être accessibles à tous les publics. ■
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La recherche en résidence
Rencontre avec Doyle Calhoun, premier chercheur pensionnaire de la Bibliothèque et Villa Marmottan
Doyle Calhoun est diplômé d’un doctorat en littérature de Yale University et d’une maîtrise en linguistique de KU Leuven, Assistant Professor d’études francophones à Trinity College (Connecticut, États-Unis) et University Assistant Professor of Francophone Postcolonial Studies au sein de la faculté « Modern and Medieval Languages and Linguistics » à l’Université de Cambridge au Royaume-Uni.
Quel souvenir gardez-vous de votre expérience de pensionnaire à la Bibliothèque Marmottan ? Vous étiez le premier, notre pionnier.
Celui d’avoir connu un grand honneur et un grand bonheur. J’ai eu la chance en effet d’être parmi les premiers boursiers de la bibliothèque et ce fut pour moi un privilège d’avoir accès à sa collection ainsi que de bénéficier du soutien de l’Académie des beaux-arts. Je tiens très sincèrement à remercier Laurent Petitgirard, Adrien Goetz, Brice Ameille et Alexandra Poulakos, qui s’est occupée de toutes les questions pratiques, pour leur aide inestimable durant mon séjour.
Quels étaient vos axes de recherche ? Quel est votre regard sur la période de l’Empire, sur le début du XIXe siècle ?
J’ai principalement axé mes recherches sur la période tumultueuse qui a suivi le rétablissement de l’esclavage en Martinique et en Guadeloupe. J’ai étudié la résistance suicidaire des anciens esclaves, en particulier le suicide collectif de Louis Delgrès et de ses compagnons, ainsi que les traces de cette histoire dans les archives coloniales et son impact sur la mémoire collective et la littérature contemporaine. Les transformations juridiques en France aux XVIIIe et XIXe siècles, telles que les différentes versions du Code noir, du Code pénal, du Code civil et du Code de l’indigénat, ont joué un rôle crucial. Cela s’explique par le changement de statut du suicide, encore considéré comme un crime sous l’Ancien Régime, et par la généalogie de la violence qui relie le Code noir au Code de l’indigénat.
De tout cela est sorti un livre. Pouvez-vous nous en dire un mot, en espérant qu’il trouvera vite un éditeur en français ?
Inspiré par les travaux de Dominique Godineau (S’abréger les jours. Le Suicide au XVIIIe siècle), mon livre The Suicide Archive: Reading Resistance in the Wake of French Empire s’ouvre sur le procès d’Azor, un homme « ré-esclavagisé », qui s’est suicidé en Guadeloupe en 1804, peu de temps après le rétablissement de l’esclavage par Napoléon en 1802. Partant de cette expérience bouleversante et traumatique de l’émancipation éphémère, il se veut une étude pluridisciplinaire qui met en lumière l’histoire occultée des pratiques de résistance suicidaire, depuis l’époque de l’esclavage jusqu’à la « révolution du jasmin » en Tunisie, en exploitant divers textes et documents d’archives en français, anglais, wolof, arabe ou encore kreyòl. Je suis heureux de pouvoir annoncer que ce livre va très prochainement paraître aux presses de Duke University... en attendant une traduction française ? ■