Par Christian Paput, peintre, graveur
Typographie, ce mot est tout aussi imprécis et ambigu que le mot gravure car, comme celui-ci, il recouvre plusieurs matérialités. En effet, nous utilisons « typographie » au sujet d’un lettrage ou d’un type de caractère employé dans un texte, mais aussi pour nommer le mode d’impression employé qu’il soit ancien donc au plomb ou plus récent avec les systèmes photographiques, jusqu’à aujourd’hui avec le numérique. « Typographie » définit aussi bien le texte à la page que l’ensemble de la présentation d’un livre. On dit par exemple la typographie de ce livre est fort bien choisie ou est fort belle. Mais voilà, le langage a ses limites et les précisions utiles doivent moduler ou compléter le propos pour que « typographie » définisse exactement ce dont nous parlons.
La typographie traditionnelle au plomb réclame de nombreux savoir-faire qui vont du dessin de la lettre, à la gravure du poinçon, en passant par la fonte des caractères et leur composition jusqu’à l’impression.
Chacune de ces étapes est chronophage et n’est réalisée que par des spécialistes longuement formés autrefois. Aujourd’hui cette formation n’existe plus que sous la forme d’une sensibilisation aux techniques anciennes dans le cursus scolaire de l’École Estienne notamment. L’évolution des technologies depuis Gutenberg puis plus près de nous de procédés mécanisés, monotypes et linotypes de la fin du XIXe siècle ont supprimé le plomb. C’est l’adaptation de ces derniers procédés qui a provoqué la dématérialisation du système typographique au plomb.
Cette pratique plus « moderne », alliée à une grande demande de diffusion de textes imprimés ou dématérialisés, a vu les nouveautés graphiques se multiplier.
À l’époque actuelle, où il est parfois dit que la pratique de la lecture se ralentit, nous n’avons jamais autant écrit et la simplicité des procédés numériques fait que tout un chacun est écrivain, éditeur, diffuseur, etc. Il en résulte que les besoins de lettrage ou de création typographique deviennent chaque jour plus nombreux. La multitude de créations de caractères qui inonde le marché ne répond pas toujours à l’exigence de qualité qu’un texte ou qu’un écrit réclame. Quand je parle de qualité, je fais référence à la lisibilité, à la nature du dessin ou encore au réglage des approches d’une police (espace entre les lettres).
La création de caractères à l’avènement des polices numériques a principalement consisté à transposer les compétences des dessinateurs de caractères au plomb à la technologie en vigueur. Mais c’est surtout l’adaptation ou la reproduction des collections des grandes fonderies de caractères au plomb qui a permis la continuité des anciens systèmes.
Le développement et la multiplication continue des supports d’écriture typographique, affiches, ordinateurs, affichages lumineux, téléphones, tablettes, nécessitent des polices dessinées particulièrement pour ces surfaces.
La pratique typographique sans formation préalable conduit à une lisibilité parfois délicate, à la mauvaise transmission des messages ainsi qu’au lissage des particularités culturelles présentes dans toute typographie.
Un véritable retour de l’apprentissage de la calligraphie, et du dessin de caractères, par des formations spécifiques a été mis en place depuis les années 1980 pour que les futures créations dans ce domaine répondent aux exigences des utilisateurs contemporains.
Ces formations sont destinées à la pratique de l’impression sur papier ainsi qu’à la lecture sur écran et nous offrent des catalogues de caractères remarquables de qualité, qu’il faut savoir jauger, juger et utiliser comme il convient.
La typographie au plomb, avec plus de cinq siècles d’existence a donné naissance aux procédés d’imprimerie utilisant la photographie. Toujours matérielles, mais allégées du poids du plomb, les techniques graphiques et typographiques contemporaines sont maintenant totalement libérées de leur matérialité. Le numérique règne sans partage sur l’ensemble de la filière graphique. Professionnels ou non, les praticiens de la lettre, du livre, de l’imprimerie, de la publicité, de la signalétique, de la photographie, du cinéma, etc., tous utilisent le numérique, exceptés quelques nostalgiques ou artistes ayant recours aux méthodes anciennes qui, lorsqu’elles sont diffusées largement, le sont malgré tout par les procédés actuels.
La lettre est aujourd’hui partout, dans la rue, dans les foyers et même dans l’espace avec la reproduction holographique. Il faut toutefois distinguer et maîtriser la nature et la destination de tels ou tels caractères, ils ne sont pas interchangeables, doivent être choisis précisément et ces choix doivent pouvoir être justifiés. C’est là que réside l’intérêt principal de ces métiers de la lettre en dehors de sa création.