Par Patrick Branco Ruivo, directeur général de la Société d’Exploitation de la Tour Eiffel (SETE)
Symbole du génie industriel, la tour Eiffel constitue un édifice emblématique. Elle est la mémoire de l’Exposition universelle de 1889 qui met en scène le triomphe de la construction en fer puddlé du siècle de l’industrie. Le fer puddlé est un matériau dont la longévité est quasi éternelle à condition qu’il soit repeint régulièrement. La peinture constitue donc l’élément indispensable de la conservation de la Tour lui permettant de lutter contre les effets de la rouille et de la pollution. Repeinte en moyenne tous les 7 ans, le monument connaît actuellement sa 20e campagne de peinture ; une étape clef dans son histoire puisqu’elle est associée à une démarche de décapage des couches antérieures et de restauration structurelle. Comme tout ce qui a trait au monument, ce chantier revêt un caractère mythique et fait écho à la dimension même du monument.
Pour la première fois, un décapage des fonds de peinture
Après 19 campagnes successives, la peinture atteint une épaisseur jusqu’à 3 mm et une masse estimée à 350 tonnes. Le décapage s’inscrit en premier lieu dans une démarche liée à la conservation du monument. Cette action vise une meilleure adhérence et durabilité de la nouvelle peinture.
Un chantier hors norme
Au total, une centaine de compagnons travaillent sur la campagne actuelle qui est aussi l’occasion de vérifier en détail l’état de la structure. La 20e campagne de peinture marque également le recours à des techniques traditionnelles, notamment celle du rivetage à chaud. L’assemblage par rivetage est le plus ancien procédé de solidarisation de pièces métalliques entre elles. La tour Eiffel en est un parfait exemple puisqu’elle en compte à elle seule 2 500 000 dont les 2/3 ont été assemblés sur site !
La couleur « jaune-brun » : retour à la teinte historique
Si la 20e campagne de peinture est inédite à bien des égards, elle marque aussi les esprits par le choix de la teinte « jaune-brun ». Elle correspond en effet à la dernière teinte choisie par Gustave Eiffel lui-même, en vue de la pérennisation de la tour Eiffel et de son inscription dans le paysage parisien. Au départ, lors de sa sortie de l’atelier, le monument était couleur rouge Venise, selon la volonté de Gustave Eiffel en 1889, car cette teinte était réputée être la plus efficace pour lutter contre l’action de la rouille. Le monument est ensuite devenu jaune en 1899 puis « brun tour Eiffel » de 1968 jusqu’à nos jours. Semblable au bronze, il s’agissait d’une couleur spécialement conçue pour la Tour et réservée à son seul usage. Elle se déclinait en trois tonalités, de la plus claire au sommet à la plus foncée en bas, pour assurer une perception uniforme de la teinte dans le ciel parisien et donner au monument son aspect élancé.
Une démarche scientifique mettant en lumière l’histoire des couleurs de la Tour
La tour Eiffel est protégée au titre des Monuments Historiques depuis 1964. La SETE a donc confié à l’agence Pierre-Antoine Gatier, architecte en chef des Monuments Historiques, l’étude historique de la peinture de la tour Eiffel. La démarche scientifique a consisté en une étude étayée associant l’analyse des données historiques couplée aux informations scientifiques recueillies sur site. Cette méthode a permis de préciser l’histoire des campagnes de peinture de la tour Eiffel en renseignant notamment les teintes employées, leur composition, les fabricants, les raisons expliquant le changement de teinte... Une attention particulière a ainsi été accordée pour caractériser les couleurs par état historique permettant ainsi une représentation fidèle de celles appliquées successivement sur la Tour.
Une campagne de sondages stratigraphiques pour identifier l’ensemble des couches picturales
Des investigations stratigraphiques ont été menées sur la Tour à partir de la réalisation de 80 sondages répartis sur l’ensemble des niveaux du monument. Les clichés obtenus ont permis d’identifier l’ensemble des couches picturales. Plusieurs nuances, parfois deux ou trois valeurs, ont ainsi été identifiées pour pouvoir caractériser chacune des campagnes picturales de la Tour.
Définition de la teinte
Le protocole de restauration a été décidé en se basant sur les connaissances historiques et scientifiques acquises sur la couleur de la tour Eiffel. Il a été établi dans le respect des dispositions patrimoniales de ce monument emblématique, de son histoire et de son évolution. Ainsi, un état de référence pour la mise en teinte de la tour Eiffel a été proposé, celui de la période allant de 1907 à 1954 et correspondant au ton de jaune-brun.