Gérer un patrimoine d’exception
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Créée en 2022, la Fondation Auguste Perret – Académie des beaux-arts a pour mission la défense et la promotion de l’œuvre d’Auguste Perret et, plus largement, de la profession d’architecte. Dans ce but, la Fondation a pour objet d’entretenir et de mettre en valeur l’appartement parisien d’Auguste Perret (1874-1954), agencé par ses soins en 1932. Avec le concours de Pierre-Antoine Gatier, membre de la section d’architecture, la Fondation a entrepris les travaux nécessaires à la restauration de ce chef d’œuvre de béton Art déco. L’appartement et son décor intérieur sont classés au titre des monuments historiques.
Une double transmission
Rencontre avec Pierre-Antoine Gatier, membre de la section d’architecture de l’Académie des beaux-arts, directeur de l’Appartement Perret, et Christiane Schmükle-Mollard, architecte en chef des monuments historiques, vice-présidente de la Fondation Auguste Perret – Académie des beaux-arts
Propos recueillis par Nadine Eghels
Nadine Eghels : L’appartement historique d’Auguste Perret a été légué à l’Académie des beaux-arts en 2023, comment cela a-t-il été décidé ?
Christiane Schmükle-Mollard : En 1963, peu avant sa mort, la veuve d’Auguste Perret fit don de l’appartement à l’Association Auguste Perret, crée la même année, pour servir de lieu de rencontres pour les architectes. 60 années plus tard, l’association, qui n’avait plus les moyens d’entretenir dignement ce lieu exceptionnel, en a fait don à l’Academie des beaux-arts avec les meubles et objets qui y sont attachés depuis l’origine. À cet effet, les sièges qui avaient été conservés au Havre ont été rapatriés. Avec le soutien d’Alain Charles Perrot et Pierre-Antoine Gatier, nous avons créé cette Fondation abritée par l’Académie. C’était la seule solution pour assurer la pérennité de l’appartement.
N.E. : Avez-vous entrepris des démarches de classement ?
C.S-M. : C’était une des conditions de la donation : que soit réintégré le mobilier qui avait été dispersé, et que tout soit restauré. Nous avons mené conjointement les dossiers avec le ministère de la culture.
N.E. : En quoi consiste le projet de restauration et de pérennisation de l’appartement ?
Pierre-Antoine Gatier : Perret est l’un des plus grands constructeurs, penseurs et concepteurs de l’architecture. Il semblait légitime de préserver et de restaurer cet appartement comme un concentré de sa réflexion. C’est un moment essentiel de l’architecture du XXe siècle. Il s’agit de conserver ce moment et en même temps de lui redonner vie.
N.E. : En quoi cet appartement est-il caractéristique ?
P-A.G. : Construire est au cœur de la pratique de Perret. Les matériaux qu’il choisit son ceux de la durabilité du XXe siècle : béton armé et placages en chêne. Tout cela est très bien conservé, mais fragile et précieux.
N.E. : Comment son architecture s’inscrit-elle dans l’appartement ?
P-A.G. : Il introduit la modernité avec son immeuble de la rue Franklin en 1908, c’est une étape fondatrice de la construction en béton armé avant le purisme de le Corbusier. Il l’utilise derrière un revêtement céramique, c’est tout le débat du premier quart du XXe siècle. 20 ans après, l’immeuble rue de la Raynouard fait figure de manifeste : tout en béton armé, la structure comme la façade, pour un immeuble de grande hauteur dans une topographie complexe.
N.E. : Et à l’intérieur ?
P-A.G. : Il fait preuve d’une réflexion sur la distribution sophistiquée qui tire profit de l’aspect isolé de l’immeuble : il y a trois façades et même une façade arrière mitoyenne dont il fait un panorama sur la ville avec le dynamisme de la machine de l’ascenseur. L’appartement se développe sur les trois côtés, avec l’entrée au centre pour laisser libre la circulation et offrir une vraie distribution à la française, chambres d’un côté et pièces de réception de l’autre. Tous les dimanches il recevait ses amis, collaborateurs et artistes. De cette parcelle complexe triangulaire, il fait une proue sur Paris, en réduisant l’espace privé au profit de la rencontre et du partage - le salon et l’entrée.
Perret, grand créateur, fait le choix, comme un aboutissement de l’hausmannisme, d’être au plus haut de son immeuble avec la vue sur la ville : ainsi, le plus contemporain regarde l’histoire. Œuvre moderne, elle domine au plus près la maison de Balzac qui écrivait la ville du XIXe.
N.E. : Comment faire vivre ce lieu ?
P-A.G. : En en faisant un lieu de rencontres et de débats, de résidence aussi. Nous y proposerons des rendez-vous pour des débats intenses autour de questions d’architecture, portées par l’Académie des beaux-arts grâce à la Fondation.
N.E. : L’appartement sera-t-il accessible au public ?
P-A.G. : Il y aura des visites accompagnées, nous mènerons, avec le comité scientifique de la Fondation, une réflexion sur la construction du propos. C’est une transmission de l’association à l’Académie, et une transmission du génie de Perret à ceux qui pourront s’en imprégner en visitant le lieu où il vivait, rêvait et créait.
N.E. : Quand les travaux commenceront-ils ?
P-A.G. : 2024 est une année de double célébration : 150e anniversaire de la naissance d’Auguste Perret et 70e de sa mort, le chantier commencera donc après.
N.E. : Comment procéderez-vous ?
P-A.G. : Il faut conserver la structure architecturale mais se posent les questions de l’étanchéité, des menuiseries extérieures, des lambris et des sols à l’intérieur. Et des réseaux électriques. Comment mettre en conformité, intégrer la technique, sans porter atteinte à l’authenticité de l’ensemble ? C’est un dialogue à mener avec l’aide des services des monuments historiques. ■