Par Aymeric Zublena, membre de la section d’Architecture.
Ces quelques réflexions s’inscrivent dans la continuité d’un discours que j’avais prononcé lors de la rentrée solennelle des cinq Académies en octobre 2011, qui avait pour thème « Le Virtuel ».
Je n’évoquerai pas la virtualité des projets utopiques des architectes révolutionnaires du xviii e siècle, notamment ceux d’Etienne Louis Boullée ou de Jean-Jacques Lequeu, ni les « architectures de papier » de l’époque soviétique, car la virtualité architecturale dont je veux parler est d’une autre nature, elle est apparue depuis une quinzaine d’années grâce à l’ordinateur.
En effet, de l’outil informatique ont émergé des espaces virtuels dont les architectes ont nourri leurs projets. De ces recherches, de ces tâtonnements, de ces jeux, sont nés des formes, des volumes, de nouveaux espaces architecturaux qui apparaissent comme étrangers à des préoccupations fonctionnelles, à toute considération technique, à toute logique constructive, à toute opérationnalité immédiate. C’est ainsi qu’Antoine Picon, architecte et historien, a pu dire : « … l’utilisation de l’ordinateur afin de produire des formes nouvelles et spectaculaires ne constitue qu’un aspect d’une dynamique de beaucoup plus grande ampleur, de même que l’invention de la perspective à la Renaissance était liée à des questions plus vastes que la seule recherche de la régularité géométrique ».
Ces formes ont l’apparence, sur l’écran, de volumes liquides qui flottent dans un environnement d’illusion, volumes virtuels sans attaches avec un quelconque territoire, une quelconque géographie. Ces formes, ces volumes ont la fluidité des formes « molles ». Je ne résiste pas, ici, à citer cette réponse de Salvador Dali à Le Corbusier qui lui demandait s’il avait des idées sur l’avenir de son art, l’architecture : « oui j’en ai… je lui répondis que l’architecture serait molle et poilue… ». Cette réponse faite, la date est incertaine, en 1925 ou 1929, est extraite du dernier livre de François Chaslin Un Corbusier. En faisant la part de son caractère provocateur propre à Dali, elle est prémonitoire, comme l’est, sans doute, l’emploi de l’adjectif poilu, qui pourrait s’appliquer à cet engouement du végétal qui s’exprime depuis quelques années dans cette mode curieuse et coûteuse des façades végétalisées. Mais ceci pourrait être l’objet d’un autre article.
Certes l’architecture a, de tous temps, connu ces évolutions, ces avancées ou ces revirements, témoins de la nécessité de répondre à des usages et des besoins nouveaux, témoins aussi de l’utilisation soudaine et audacieuse de matériaux précédemment inconnus ou plus encore témoins des aspirations des puissants et du désir de bâtir, par les moyens et les techniques d’une époque donnée, les monuments d’une société nouvelle. Mais de nos jours, sans équivalent dans les périodes antérieures, la possibilité de réaliser, dans l’instant, des images nombreuses, sous des angles multiples et très évocateurs, a eu une influence déterminante sur une certaine production architecturale.
Notons cependant que ces formes complexes, distordues, virtuelles, explorées sur les écrans des ordinateurs et devenues constructibles grâce à des logiciels puissants, s’expriment surtout dans des commandes exceptionnelles, nées du désir de quelques maîtres d’ouvrage publics ou privés de marquer leur temps.
Notons aussi que ces spectaculaires réalisations, pour ne citer que l’une des plus récentes, la Fondation Louis Vuitton, sont mieux perçues, comprises et acceptées que ne l’ont été celles de l’époque héroïque du Mouvement moderne.
Ces recherches, pour des raisons économiques évidentes, sont moins fréquentes lorsqu’il s’agit de programmes moins prestigieux.
J’ai voulu cependant, pour le nouvel hôpital de Monselice proche de Padoue, implanté dans le relief d’origine volcanique d’où émergent de la plaine de Vénétie les « Monti dei colli euganei », dans la contrainte d’un budget fort modique et l’implacable rigueur fonctionnelle propre à ce type de réalisation, rompre avec l’habituelle orthogonalité rationnelle de l’architecture hospitalière.
Ces explorations formelles, nées de l’usage informatique, s’apparentent selon certains à un univers baroque, renvoient selon deux universitaires canadiens, Guitte et Lachapelle, « à une quête esthétique qui puise dans une autre historicité que celle de la pensée rationaliste » et suscitent ainsi un intérêt nouveau du grand public pour l’architecture contemporaine.
Je laisse à quelque sociologue ou philosophe le soin de nous éclairer sur l’émergence de cette « architecture virtuelle », de son expression baroque, et de nous dire en quoi elle témoigne de notre temps, et à quelque Dali de rencontre, d’imaginer celle qui lui succèdera.