Par Édith Canat de Chizy, membre de la section de Composition musicale.
En tant que directeur des conservatoires du 15e, puis du 7e arrondissement de Paris de 1986 à 2007, j’ai pu suivre l’évolution progressive de l’importance donnée à l’apprentissage du chant choral dans ces établissements, rendu obligatoire dès l’âge de cinq ou six ans. Cette disposition a permis à nombre d’élèves de poursuivre cet enseignement dans des structures pré-professionnelles dont nous allons parler ici.
Du Moyen-Age à la Révolution française, cet apprentissage était assuré par les maîtrises des cathédrales. Ces maîtrises (formées uniquement de garçons) étaient à la fois un ensemble vocal et une école, offrant aux enfants une formation musicale de haut niveau doublée d’une solide formation générale et surtout religieuse. L’enseignement y était gratuit. C’est dans ces écoles que naîtra progressivement au fil des siècles l’art du contrepoint, donnant naissance aux premiers motets polyphoniques, et plus tard (au XIVe siècle) à des messes entières, également polyphoniques, jetant ainsi les bases de ce qui deviendra la musique occidentale. On retiendra les noms des maîtres de Notre-Dame de Paris au XIIe et XIIIe siècles, comme Léonin et Pérotin. L’auteur le plus connu du XIVe siècle est Guillaume de Machaut, chanoine de la maîtrise de la cathédrale de Reims. Les maîtrises les plus connues de cette époque, mis à part celle de Notre-Dame de Paris et celle de Reims, étaient celles d’Amiens, Senlis, Saint-Quentin, Beauvais…
De la Renaissance jusqu’en 1790, de grands noms de la musique sortent de très nombreuses écoles qui fleurissent partout en Europe : Josquin des Prés, Clément Jannequin ou Roland de Lassus. Les maîtrises comptent alors un petit nombre de chanteurs. Le recrutement s’effectue par concours, les enfants reçoivent une éducation complète. Les choristes sont tenus d’assurer les différents offices liturgiques tout au long de l’année.
En 1790, le gouvernement révolutionnaire saisit tous les biens de l’Eglise et supprime les chapitres ecclésiastiques, donc les maîtrises. Le Conservatoire de Paris est créé entre 1793 et 1795 par Bernard Sarrette afin d’avoir la main sur l’éducation musicale. La France va souffrir longtemps de cette rupture, spécialement dans le domaine du chant.
En 1906, deux étudiants fondent le chœur des Petits Chanteurs à la Croix de Bois, indépendamment de toute paroisse ou cathédrale, rompant ainsi avec la tradition millénaire. À sa suite, de nombreux chœurs se développent en Europe après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Cet essor est concrétisé dans les années 50 par le mouvement des Pueri Cantores. La mixité commence également à apparaître dans cette période (elle sera généralisée à partir des années 70). Citons la Maîtrise de Radio France, créée en 1946 par le compositeur Henri Barraud, la Cigale de Lyon en 1947 par Christian Wagner (dont j’ai fait partie de l’âge de dix ans à dix-sept ans… ), les Petits Chanteurs de Sainte-Croix de Neuilly en 1956. Plus tard, la Maîtrise des Hauts-de-Seine en 1985, la Maîtrise de Bretagne en 1989, etc.
À partir des années 1980, l’Etat entreprend une revalorisation de la pratique chorale en permettant l’adaptation du temps scolaire pour les enfants souhaitant travailler dans un chœur, adaptation appelée depuis ce moment « classes à horaires aménagés » ou « CHAM ». L’exemple le plus marquant de cette initiative est celui de la Maîtrise de Paris, fondée en 1980 sous l’égide de la Mairie de Paris et du Ministère de la Culture, dirigée depuis cette date par Patrick Marco. Ne comprenant à l’origine que des garçons, elle est devenue mixte en 1992 et compte près de 120 enfants. La Maîtrise de Paris est aujourd’hui un département du Conservatoire à Rayonnement Régional (CRR) de Paris. Les élèves suivent le matin une scolarité classique du CM1 à la terminale (soit environ de 9 à 17ans) et ont l’après-midi au CRR une formation musicale complète et gratuite : chant choral, technique vocale, formation musicale, pratique d’un instrument polyphonique en lien avec la pratique vocale. La programmation de ses concerts est en grande partie liée à celle des orchestres, opéras, festivals…
La Maîtrise de Radio France est à l’origine de l’une des premières expériences de mi-temps pédagogique appliqué aux études artistiques. Comme à la Maîtrise de Paris, les élèves suivent le matin une scolarité classique en partenariat avec le Lycée La Fontaine, l’après-midi étant consacré à la pratique musicale. Elle est ouverte également du CM1 à la terminale et compte aujourd’hui 150 enfants, dirigée par Sofi Jeannin depuis 2008.
La Maîtrise de Notre-Dame de Paris est formée de trois chœurs : le chœur d’enfants dès l’âge de six ans, le Jeune Ensemble concernant les lycéens et le chœur d’adultes. Son répertoire porte essentiellement sur la musique sacrée. Elle est dirigée depuis peu par Henri Chalet. Enfin, le Centre de Musique Baroque de Versailles fonctionne selon les mêmes principes. Sa particularité porte sur un répertoire principalement orienté vers la musique baroque.
Laurence Equilbey, assistée de Geoffroy Jourdain, crée en 2002 au CRR de Paris le Jeune Chœur de Paris, qui prend ainsi la suite de la Maîtrise : il s’adresse à des jeunes chanteurs de 17 à 25 ans. La priorité de son enseignement est mise sur la formation soliste en relation avec la formation polyphonique, autour de quinze disciplines. Il accorde une grande place à la création contemporaine et passe commande à nombre de compositeurs (dont cette année la création d’une de mes œuvres les 17 avril et 16 mai). Les étudiants peuvent ensuite intégrer sur audition nombre de filières professionnelles : Opera-Studio de Paris et Lyon, CNSMD de Paris ou Lyon, Masters internationaux, ensembles vocaux…
La filière du chant choral en France est donc actuellement en plein essor. Souhaitons que la politique culturelle actuelle saura valoriser cet élan et saluons à cet égard le soutien apporté chaque année par la Fondation Bettencourt Schueller.