Le chant choral, une tradition bien vivante

Par Thierry Escaich, membre de la section de Composition musicale.

17 mars 2004 : Sortie en salle des Choristes, film de Christophe Barratier qui devint en l’espace de quelques semaines le phénomène de société que l’on connaît. La France se souvint alors qu’elle avait une solide tradition de chant choral, sur laquelle s’était construite une partie non négligeable de son histoire musicale… de son histoire sociale, aussi, car les quelques 3 240 sociétés chorales qui émaillaient le territoire hexagonal à l’apogée du mouvement orphéonique, en plein cœur du xixe siècle, opéraient un véritable brassage social. L’émulation que créaient ces chorales ouvrières, les maîtrises des cathédrales - supprimées sous la Révolution, mais qui ne tarderaient pas à renaître sous l’Empire - auxquelles s’ajoutaient d’innombrables fanfares de toutes sortes, favorisait l’accès à l’art du plus grand nombre.

 

Même si l’on peut retrouver un siècle plus tard une part de cette vitalité dans le renouveau des chorales « À cœur joie » ou des « Pueri cantores », par exemple, il est indéniable que l’Education Nationale serait bien avisée de redonner corps à cette pratique dont la Ville de Paris vota l’introduction dans toutes les écoles communales dès 1835, et que la IIIe République s’efforça de développer. Car, en incitant les enfants à s’exprimer avec un minimum de technique vocale, de savoir musical, on forme à la fois leur culture, mais aussi le public de demain, que tant d’institutions et producteurs de toutes sortes essaient en vain de faire venir à la musique classique.

 

Il y a quelques années de cela, je collaborai, pour un concert consacré à mes œuvres vocales, avec l’ensemble « Schola Cantorum » d’Oxford. Etonné du niveau technique et musical de cette trentaine d’étudiants en chimie, littérature ou économie, je demandai à son chef, James Burton, comment ils arrivaient à venir à bout de difficultés qui avaient découragé plus d’un chœur. Il me répondit tout simplement que depuis l’âge de huit ans, il ne s’était guère passé plus d’une journée sans qu’ils n’aient été amenés à chanter en ensemble vocal pour un office, une fête, ou pendant une heure de permanence. Je pourrais aussi parler de ces grands chœurs américains que j’ai pu côtoyer lors de mes tournées ; leur dynamisme est tel qu’ils sont souvent les ambassadeurs de certaines de nos pages parfois oubliées chez nous, et qu’ils suscitent toujours une grande effervescence créatrice chez bon nombre de compositeurs. D’où un nombre important d’entre eux qui se spécialisent dans l’écriture pour la voix et qui génèrent un répertoire qui, même fonctionnel, recèle souvent de très belles pages. Quant au répertoire proprement dit, ces formations ont imposé hors de nos frontières des œuvres comme le Requiem de Maurice Duruflé, devenu ainsi une des œuvres de musique française protégées les plus jouées au monde, grâce à la popularité dont elle jouit chez eux, ou encore tel motet de Widor, Saint-Saëns ou Poulenc, dont ils aiment défendre la suavité harmonique toute française.

 

Le chœur est donc un vecteur indispensable pour la diffusion de musiques, aussi bien du répertoire qu’actuelles : souvent bien moins onéreux qu’une formation symphonique, il a en outre l’avantage d’être composé, suivant son statut, aussi bien par des amateurs passionnés que par des chanteurs professionnels, les deux étant souvent mêlés, d’ailleurs. Si une œuvre peut passer à la postérité, c’est aussi - en dehors de sa valeur intrinsèque, bien sûr - parce qu’une part de la population peut s’en emparer, la faire vivre, et cela en dépit des contraintes économiques qui peuvent affecter les structures professionnalisées. Même si Jean-Sébastien Bach s’est souvent emporté contre la faiblesse de certains chœurs au service de sa musique, le fait que des générations de chorales de paroisses se soient accaparé ses passions ou ses messes au fil des dimanches a contribué à enraciner son œuvre dans le temps.

 

Nous avons en France des ensembles vocaux professionnels qui défendent magnifiquement les musiques d’aujourd’hui, qu’ils se nomment Aedes, Sequenza 9.3, les Cris de Paris, les Jeunes solistes ou bien d’autres. Des compositeurs comme Olivier Messiaen ou Iannis Xenakis ont laissé pour ce type de formations certaines de leurs plus belles pages comme les Cinq rechants pour le premier ou Nuits pour le second, œuvres d’une extrême virtuosité vocale qui les cantonnent à une exécution par des ensembles spécialisés.

 

Mais il est aussi intéressant pour un compositeur de s’atteler à l’écriture pour des chœurs plus généralistes et formés de musiciens amateurs. L’enjeu est alors qu’il tente de rester lui-même tout en s’efforçant de rayer le plus possible les complexités de son écriture, de s’exprimer plus simplement sans pour autant se renier ou céder à la facilité du pastiche, de former le choriste aux techniques vocales de son temps sans pour autant le désarçonner par des difficultés insurmontables. C’est parfois un très bon moyen d’en revenir à l’essence même de son écriture.

En tous cas, on le voit depuis maintenant plusieurs années, il existe un réel désir émanant des maîtrises, des chorales de conservatoires, des chœurs d’opéra ou même de certains ensembles spécialisés en musique ancienne de s’ouvrir au répertoire d’aujourd’hui et d’aller à la rencontre des compositeurs de leur temps. Il fut une époque, dans la deuxième partie du xxe siècle, où la rencontre entre les créateurs contemporains et les formations chorales était pratiquement impensable, et les quelques essais de commandes de messes ou oratorios n’ont pas vraiment réussi à entrer au répertoire. Les créateurs étaient alors davantage préoccupés par une recherche de nouveaux langages, de nouvelles formes et moyens d’expression, que par l’accessibilité ou même la fonctionnalité de leur production. Mais les temps ont changé, et une réelle dynamique est enclenchée : bien au-delà des ensembles spécialisés, les cathédrales - la récente série de commandes réalisée par Notre-Dame de Paris en est un bel exemple -, les chœurs d’élèves de conservatoires, les ensembles de toutes sortes semblent vouloir réinvestir le domaine de la création et ainsi revivifier cette tradition millénaire, décidément bien vivante. 

Gérard Jugnot dans "Les Choristes" , comédie dramatique française réalisée par Christophe Barratier (2004), un des plus gros succès de l'histoire du cinéma français avec huit millions et demi d'entrées en dix semaines d'exploitation. Les voix utilisées pour les chansons du film furent celles des Petits chanteurs de Saint-Marc, à Lyon, dirigés par Nicolas Porte.
Gérard Jugnot dans "Les Choristes" , comédie dramatique française réalisée par Christophe Barratier (2004), un des plus gros succès de l'histoire du cinéma français avec huit millions et demi d'entrées en dix semaines d'exploitation.
Les voix utilisées pour les chansons du film furent celles des Petits chanteurs de Saint-Marc, à Lyon, dirigés par Nicolas Porte.