Par Lydia Harambourg, historienne de l'art, correspondant de l’Académie des Beaux-Arts.
En 1816 est créé le Grand Prix de Rome de Paysage historique à l’instigation de Vincent-Marie Viénot de Vaublanc, ministre de l’Intérieur de Louis XVIII, élu en 1816 membre libre à l’Académie des Beaux-Arts, rétablie par le décret du 21 mars 1816. Il est secondé par les peintres Anne-Louis Girodet-Trioson (1767-1824) et Pierre-Henri Valenciennes (1750-1819). Il aura lieu tous les quatre ans jusqu’en 1863, année de sa suppression. Douze Prix de Rome du Paysage seront décernés. Les lauréats doivent répondre aux exigences requises par l’Académie pour le traitement pictural, la composition et les effets de lumière pour mettre en scène le sujet mythologique ou religieux devant justifier la présence du paysage.
Jusqu’à la fin du XVIIIe siècle, le paysage occupe la dernière place dans la hiérarchie des genres. Pourtant, cet hymne à la nature est célébré par Jean-Jacques Rousseau, Sénancourt et Chateaubriand qui souligne l’identité originelle du paysage et le rapport intime qui lie l’âme à la nature, lorsqu’il écrit dans sa Lettre sur l’art du dessin publiée en 1793 : « Le paysage a sa partie morale et intellectuelle. Il faut qu’il parle aussi et qu’à travers l’exécution matérielle on éprouve, ou les rêveries ou les sentiments que font naître les différents sites ». Sa reconnaissance prémonitoire pour un art du paysage trouve une résonance singulière plus d’un demi-siècle plus tard avec le peintre Paul Huet qui écrit en 1868 : « Le paysagiste est de tous les artistes celui qui communique le plus directement avec la nature, avec l’âme de la nature ».
C’est toute l’histoire de la conquête du paysage qui s’inscrit dans ce demi-siècle, à laquelle les Prix de Rome du Paysage ont beaucoup contribué.
Il faut toute la renommée de Valenciennes au sein des instances officielles pour imposer, à la suite des écrivains, une vision révolutionnaire du paysage. Dans ses Eléments de Perspective pratique à l’usage des artistes, suivis de Réflexions et Conseils à un élève sur la Peinture et particulièrement sur le genre du Paysage (1800), il définit le « paysage portrait » qu’il veut l’égal de la grande peinture d’histoire. Il constitue un répertoire de formes permanentes tout en exhortant à l’étude du paysage « dans toutes ses parties » et prescrit « de se lever avant l’aurore pour connaître tous ses effets ». Le rôle joué par son atelier comme son influence sont considérables : « Si on allait apprendre la figure chez Guérin, c’est chez Valenciennes qu’on apprenait le paysage » (Charles Clément). Il s’agit de peindre non pas la nature telle qu’elle est, mais telle qu’elle pourrait être.
Avec l’instauration du Grand Prix de Rome du Paysage, on retrouve les étapes incontournables de la montée en loge.
Pour la première et la deuxième épreuve l’élève fournit des projets dessinés de composition. Pour le concours d’esquisses peintes, les élèves sont soumis à une première épreuve intitulée concours de l’arbre « exécutée en loge, pendant six jours, d’après une esquisse tracée le premier jour et mise sous scellés, pour être reproduite lors du jugement ». L’ultime esquisse est réalisée en un jour, toujours en loge, avant le morceau final peint.
Les traités de paysages se multiplient. Si copier les maîtres demeure la priorité de l’enseignement de l’Ecole, c’est en Italie, véritable atelier ouvert sur la nature que les artistes expérimentent le paysage.
C’est Achille-Etna Michallon (1796-1822), auprès duquel se formera Corot, qui, en 1817, devient le premier titulaire du Grand Prix de Rome du Paysage historique avec Démocrite et les Abdéritains (Paris, Ecole nationale des beaux-arts). Ses personnages disparaissent dans un paysage recomposé à partir d’éléments réels observés dans la nature. Des arbres foisonnants, des troncs brisés en phase avec les élans de l’âme qui s’évade vers les lointains d’une baie et d’un ciel lumineux. Arrivé à la Villa Médicis en janvier 1818, son statut de paysagiste lui confère une certaine indépendance. Il encourage ses camarades à peindre à ses côtés. Disparu prématurément à son retour de Rome, il constitue l’authentique « chaînon manquant » entre la génération des peintres français qui a défriché le plein air (Valenciennes, Victor Bertin, André Giroux, Xavier Bidault) et celle qui va transmettre les acquis techniques et esthétiques.
En 1821 le Grand Prix est décerné à l’unanimité à Charles-Joseph Rémond (1795-1875) pour L’Enlèvement de Proserpine. Détenteur d’une belle technique acquise durant sa formation académique, il s’ouvre à davantage de liberté lors de son séjour en Italie où il peint à l’huile sur le motif des paysages d’une facture alerte, précise, et d’une grande luminosité. Sa touche est hardie, une caractéristique qu’il partage avec ses coreligionnaires qui pratiquent l’étude d’après nature dès leur arrivée à Rome. André Giroux (1801-1879) n’échappe pas à cette griserie de s’installer face au motif. Grand Prix de Rome du Paysage en 1825, avec La Chasse de Méléagre, il travaille dans la campagne romaine à de petites toiles dépouillées et spontanées, brossées dans des tons chauds qui se laissent parfois confondre avec celles de Corot, à ses côtés devant les mêmes sites, et qui contrastent avec sa peinture encore convenue pour répondre au protocole esthétique. Comme à chaque concours, beaucoup de candidats, huit sont retenus parmi lesquels Jean-Baptiste Gibert (1803-1889) qui obtient le second prix, avant d’obtenir le premier Prix en 1829 avec La mort d’Adonis. Sont montés également en loge, Brascassat sélectionné, Roqueplan, Ricois pionniers du paysage naturaliste.
Alors que Barbizon devient le rendez-vous d’une jeunesse avide de pleinairisme, le Grand Prix est décerné en 1833 à Etienne-Gabriel Prieur (1806-1879) avec Ulysse et Nausicaa. L’élève le plus fidèle de Jean Victor Bertin (1767-1842) dans l’héritage immédiat de Valenciennes, et dont la réputation de l’atelier le fait fréquenter par deux générations de peintres à vocation de paysagiste. Bertin travaille en plein air en Normandie, en forêt de Fontainebleau. Prieur s’installera à Barbizon à son retour d’Italie, peignant dans un naturalisme rustique proche de Jules Dupré. Autre lauréat qui va se tourner vers la peinture de plein air après son prix obtenu en 1837, Ferdinand Buttura (1812-1852). Elève de J.V. Bertin, il retrouve Bodinier, Edouard Bertin, Caruelle d’Aligny qui encouragera Corot à pratiquer le dessin d’après nature. Prix de Rome ou pas, tous évoluent de la notion « d’étude en plein air » à celle de « peinture en plein air ».
En regard des prix décernés en 1841, à Félix-Hippolyte Lanoüe (1812-1872) avec Adam et Eve chassés du paradis terrestre (premier sujet religieux) formé chez J.V. Bertin, et en 1845 à Jean Achille Bénouville, Ulysse et Nausicaa - l’artiste recourt aux procédés classiques pour un paysage historique composé, alors qu’il innove en modulant ses tons et développe des qualités de luministe aux côtés de Corot en Italie -, l’observance académique perdure.
Les derniers prix maintiennent ce qui fut novateur pour fonder une tradition. Double prix en 1849 pour Charles-Joseph Lecointe (1824-1886) et Alfred de Curzon (1820-1895) avec La Mort de Milon de Crotone et Jean-François Bernard (1829-1894) en 1854 avec Lycidas et Méris, qui délaissera une facture classique pour s’attacher au paysage pur après son séjour en Italie, déjà ils appartiennent à une autre génération. Jules Didier en 1857 avec Jésus et la Samaritaine et Paul-Albert Girard dernier prix décerné en 1861 avec La Marche de Silène, clôturent un chapitre de l’histoire du paysage.
Naturalisme et réalisme sont engagés sur un sillon creusé pour une émancipation à l’unisson d’une individualité qui désormais se revendique.