Par Lydia Harambourg, historienne de l'art, correspondant de l’Académie des Beaux-Arts
Le Musée des Tissus de Lyon est officiellement inauguré le 6 août 1891. Décidé par Édouard Aynard, Président de la Chambre de Commerce de Lyon, il remplace l’ancien Musée d’Art et d’Industrie et présente ses collections dans un parcours remanié par son conservateur, Antonin Terme.
Les deux musées partagent les origines de leur histoire. Décidé par la Chambre de Commerce, le Musée d’Art et d’Industrie s’est ouvert le 6 mars 1864, au deuxième étage du Palais du Commerce récemment construit par R. Dardel (1855-1862). Sa mission pédagogique et économique, en renouvelant l’enseignement artistique et technique issu de l’héritage patrimonial des fabriques lyonnaises, s’inscrit dans le projet de regrouper à Lyon les témoignages de l’art textile. La place emblématique de la ville de Lyon dès 1563 avec l’installation des tisseurs de soie et la naissance d’une industrie se renforce au xviiie siècle du renom de la soierie lyonnaise qui atteint l’Europe entière. La Fabrique ne cesse de croître, faisant de Lyon la première concentration ouvrière de la France de l’Ancien Régime qui atteint son apogée avec Joseph-Marie Jacquard dont l’invention de la « mécanique » fait entrer l’industrie de la soie dans l’ère industrielle. L’organisation de la Fabrique lyonnaise va de pair avec l’institution de musées et d’écoles d’art. En 1797, Étienne Mayeure de Champvieux, député du Rhône, présente au Conseil des Cinq-Cents un rapport dans lequel il propose la création commune d’un musée et d’une école de dessin pour relancer la Fabrique affaiblie par Révolution. Camille Pernon, célèbre marchand-fabricant d’étoffes, fournisseurs des cours d’Europe et du Premier Consul apporte son soutien. Dès 1806, puis en 1814 sur ordre du ministre de l’Intérieur, le Préfet du Rhône engage la Chambre à récupérer des échantillons de tissus réalisés dans le département. Par arrêté du 2 juillet 1829 la Chambre demande au ministre du Commerce et des Manufactures de constituer à Lyon une collection, effective en 1834, d’étoffes de soie, de coton, de laine et de châles provenant des manufactures étrangères.
Ce premier fonds fait l’objet de deux expositions de soieries étrangères organisées par la Chambre, l’une en 1834, la seconde en 1846 qui montre le matériel collecté en Chine par la première mission commerciale (1843-1846) et les pièces les plus exceptionnelles acquises par la Chambre. En 1848, elle fait l’achat de dessins et d’étoffes provenant de l’ancienne maison Dutillieu en liquidation, suivi en 1850 par celui du petit « musée de fabrique » d’Auguste Gautier.
L’exposition universelle de Londres en 1850 a été l’élément déclencheur pour la naissance du musée, voté le 24 janvier 1856 sur la proposition du Président de la Chambre. Trente-six fabricants sur les trois cents que compte la Fabrique lyonnaise ont répondu à l’invitation à participer à l’exposition universelle. Parmi les maisons les plus importantes figurent Mathevon et Bouvard, Champagne et Rougier, Lemire, Potton, Rambaud et Cie. Le public relève la qualité et la beauté des étoffes mais le jury n’attribue aucune médaille. A Londres, les fabricants ont assisté à la naissance du South Kensington Museum, ancêtre du Victoria and Albert. Natalis Rondot, délégué ordinaire de la Chambre de Paris est envoyé en mission, puis François-Barthélémy Arlès-Dufour et Prosper Meynier et enfin en 1857 Jean-Claude Bonnefond, peintre et directeur de l’École impériale des Beaux-Arts de Lyon, pour s’en inspirer. Le rapport Rondot indique que « ce musée deviendra une école nouvelle ; il sera à Lyon le complément des institutions qui servent à former le goût et à développer les dispositions artistiques de la population ».
Immédiatement, la politique d’enrichissement des collections est très active. La Chambre de Commerce acquiert en 1862 la totalité de la collection constituée par le dessinateur de fabrique Jules Reybaud, soit des centaines de textiles anciens et modernes, des milliers de documents graphiques européens et extrême-orientaux et des dessins de fabrique. En 1875 elle entre en possession d’une partie de la collection des textiles médiévaux du chanoine Franz Bock. D’autres acquisitions se font lors des expositions universelles. En 1889, la soierie lyonnaise a été louée par le jury. Les principales maisons offrent au musée les laizes les plus remarquables.
Le propos universel voulu par les initiateurs du musée ouvert à toutes les branches de l’industrie, est devenu trop ambitieux. Le Président de la Chambre de Commerce Édouard Aynard (1837-1913) décide de séparer les collections d’Arts décoratifs ou d’Arts appliqués à l’industrie de celles consacrées au textile dont il veut constituer le fonds le plus important du monde.
Le 6 août 1891 le Musée historique des Tissus est officiellement fondé.
La politique d’acquisition est intense et ne faiblira pas au cours des décennies. Elle se concentre sur les textiles et les matériaux de fabrique. Les fouilles menées à Antinoé par Albert Gayet en 1898-99 permettent l’entrée d’une importante collection de textiles de la fin de l’Antiquité, enrichie jusqu’en 1908 avec notamment la Tenture aux poissons d’époque romaine. Sur le territoire national, des conservateurs dont Raymond Cox collectent des pièces majeures de soieries orientales provenant des églises françaises. En 1904 le musée acquiert le suaire de saint Austremoine provenant de Mozac, chef d’œuvre du tissage byzantin réalisé à Constantinople durant la crise iconoclaste, le suaire de saint Lazare, broderie islamique provenant du tombeau du saint dans la cathédrale d’Autun.
Des donateurs sont stimulés par le prestige du musée et acceptent de céder des pièces uniques comme le pourpoint de Charles de Blois donné par Julien Chappée en 1924.
A la fin des années vingt, un premier inventaire est dressé par Henri d’Hennezel, successeur de Raymond Cox, qui dénombre 552 000 pièces.
Après leur évacuation pendant la guerre, les collections sont stockées et présentées dans l’hôtel de Villeroy, 34 rue de la Charité à Lyon. Le nouveau Musée des Tissus est inauguré en 1950, mitoyen du Musée des Arts décoratifs installé dans l’hôtel Lacroix en 1925.
Le musée reçoit des dépôts du Conseil des Prud’hommes de Lyon qui confie ses registres au musée en 1974 et en 1986 de l’École municipale de tissage avec près de sept cents étoffes ou mises en carte. Parmi les prestigieux donateurs, Charles Arsène-Henry pour l’art asiatique, Sonia Delaunay avec ses travaux pour l’Atelier simultané, Raoul Dufy.
Aujourd’hui le Musée des Tissus possède l’une des plus riches collections textiles du monde, retraçant plus de 4000 ans d’histoire de l’étoffe avec plus de 2,5 millions de textiles remontant au xxve siècle av. J.C. L’histoire de la soierie à Lyon y occupe une place insigne avec les productions des dessinateurs-ornemanistes Jean Pillement, Philippe de la Salle Dugourc.
La mission conservatrice du Musée des Tissus se complète de celle d’un pôle de recherche dans le domaine du textile avec son centre de documentation-bibliothèque (30 000 ouvrages) et d’un enseignement dispensé par le CIETA (Centre international d’Étude des Textiles Anciens).