Entretien avec Laurent Petitgirard,
compositeur et chef d’orchestre, Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts
Propos recueillis par Nadine Eghels
Nadine Eghels : Depuis quelques années, quels sont les grands axes de votre travail de Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts, plus précisément en ce qui concerne le soutien à la création, les résidences d’artistes, les fondations ? Quelle serait la philosophie générale de votre mission au sein de cette institution pluri-centenaire qui n’arrête pas de se renouveler ?
Laurent Petitgirard : Avant de commencer à inventer, il faut se demander comment nous remplissons nos obligations. Interroger ce pour quoi l’Académie des beaux-arts a été créée, avant de la faire évoluer. Nous avons hérité d’un patrimoine extraordinaire mais souvent mal entretenu, parce que nous n’en avions pas les moyens et que nous en avions délégué la gestion. Ma première préoccupation a donc été de reprendre le contrôle de nos sites : la Bibliothèque Marmottan qui était gérée par la mairie de Boulogne-Billancourt, la Villa Ephrussi de Rothschild par la société Culturespaces, et d’entamer de réels travaux à la Villa Dufraine à Chars comme à la Maison-atelier Lurçat.
Reprendre nos fondamentaux, cela impliquait aussi d’intensifier significativement le soutien à la création, et de formaliser nos aides sociales.
« Ouvrir les portes et vivre aujourd’hui une académie sans académisme, où toutes les tendances sont représentées... »
Il fallait se donner les moyens de tout cela et la première grande réforme que j’ai initiée, après examen approfondi de nos testaments, a été la fongibilité des ressources. Ainsi il est apparu que le domaine de Giverny n’est pas une fondation indépendante mais qu’il appartient à l’Académie des beaux-arts. Ce qui implique qu’une fois assurées les meilleures conditions de conservation et d’exploitation du lieu, les bénéfices excédentaires peuvent servir d’autres projets de l’Académie.
À partir de cette clarification, indispensable car notre Compagnie n’a pas droit à l’emprunt, nous avons pu lancer un programme de grands travaux, étalé sur plusieurs années.
Ma deuxième mission a été de responsabiliser nos confrères dans nos différents sites. Il n’y avait qu’un seul académicien en poste de direction, au musée Marmottan Monet, et à la Bibliothèque Marmottan que nous ne gérions pas. À présent Érik Desmazières est en charge du musée Marmottan Monet et Adrien Goetz de la Bibliothèque et de la Villa Marmottan, deux projets très différents, tandis que Jean-Michel Wilmotte s’occupe de la la Maison-atelier Lurçat, Muriel Mayette-Holtz de la Villa et des jardins Ephrussi de Rothschild et Jean-Michel Othoniel de la Villa Dufraine à Chars, notre première résidence de jeunes artistes, dont est sortie une exposition à l’Hôtel de la Monnaie. Il y a aussi Pierre-Antoine Gatier qui s’investit dans la rénovation de l’appartement d’Auguste Perret. Et tandis que nous envisageons d’investir un nouvel espace d’exposition au cœur de la galerie Vivienne, Jean-Michel Wilmotte a rénové le Pavillon Comtesse de Caen.
À vos questions artistiques je donne des réponses de gestionnaire... mais il faut se donner les moyens de nos ambitions avant de se recentrer sur nos fondamentaux !
N. E. : Et quels sont-ils ?
L.P. : Avant tout le soutien à la création, à travers les prix que nous distribuons, les bourses que nous attribuons et les résidences d’artistes que nous créons et gérons ou soutenons.
Avec les résidences à la Villa Dufraine, à la Bibliothèque et Villa Marmottan, à la Cité internationale des Arts et celles que nous projetons à la Villa Ephrussi de Rothschild, à Chantilly, nous accueillerons bientôt plus d’une trentaine de résidents.
En ce qui concerne les prix, nous innovons en lançant des prix de mécénat. Donner un grand prix à un artiste reconnu, qui n’en a pas besoin... et il choisira quelques jeunes artistes qu’il souhaite encourager financièrement. Ces neuf nouveaux Grand prix de l’Académie des beaux-arts, un pour chaque discipline, seront remis à raison de trois par an.
N.E. : Après leur mise en route, les académiciens seront-ils à même d’assurer dans la continuité la poursuite de toutes ces nouvelles actions ?
L.P. : C’est en effet un risque à ne pas courir, car je tiens expressément à ce que tous ces projets soient menés par des académiciens, sans faire appel à des gestionnaires extérieurs. Il faut à tout prix éviter la saturation, d’autant que le rajeunissement de nos membres implique qu’ils sont souvent encore très engagés dans leur vie professionnelle. C’est pour cela que nous sollicitons plus qu’avant les excellents correspondants de notre Académie.
Un autre souci est la profusion de fondations abritées, de deux nous sommes passés à une douzaine. Cela demande du temps, pour les encadrer et les accompagner. Mais cela met l’Académie au cœur d’une dynamique très positive, avec de belles perspectives et une ouverture sur d’autres groupes artistiques et institutions culturelles. En outre cela augmente son attractivité pour d’autres membres à venir ! De très grands conservateurs, directeurs de théâtres, d’opéras ou de musées, pourront nous rejoindre lorsqu’ils seront libérés de leurs contraintes professionnelles. Car je pense aussi à la composition de notre Compagnie.
N.E. : Envisagez-vous la création d’autres sections ?
L.P. : J’ai été à l’origine de la création de chorégraphie, Arnaud d’Hauterives de celle de photographie. Nous avons fait entrer la bande dessinée au sein de la section gravure et dessin. Et la section des membres libres est justement destinée à accueillir des artistes n’entrant pas dans une des sections établies, comme Muriel Mayette-Holtz, actrice et metteur en scène, ou Christophe Leribault, président du Château de Versailles. Il faut veiller à garder une homogénéité et un nombre raisonnable de membres.
N.E. : Comment l’Académie se situe-t-elle dans le monde artistique et culturel ?
L.P. : Peu à peu l’Académie retrouve la place prépondérante qui devrait être la sienne. Nous recevons les grands responsables culturels et artistiques, nous donnons notre avis sur différents sujets, et nous sommes de plus en plus souvent écoutés. En ce qui concerne le pass Culture, par exemple, nous avons expliqué que l’âge de 18 ans était beaucoup trop tardif, c’est à partir de dix ans que se forme le goût artistique et que les enfants doivent être sensibilisés. Et nous avons finalement été entendus puisque le pass Culture a évolué. Nous nous auto saisissons de grands dossiers comme la commercialisation de l’espace public avec l’exemple de la Gare du Nord, ou le droit moral et ses dérives, thème du colloque que nous organisons en octobre prochain avec l’Académie des sciences morales et politiques. Nous avons une mission de vigilance et nous tenons à l’exercer.
N.E. : Collaborez-vous souvent avec les autres académies ?
L.P. : Notre académie est souvent à l’origine d’une certaine capillarité au sein de l’Institut de France. L’arrivée de nouveaux secrétaires perpétuels a beaucoup favorisé cette transversalité, aujourd’hui les propositions émanent de toutes les académies.
N.E. : Quelle serait votre mot d’ordre pour les prochaines années ?
L.P. : Nous sommes là pour servir, pas pour nous servir d’abord. Ouvrir les portes et vivre aujourd’hui une académie sans académisme, où toutes les tendances sont représentées ensuite. Je suis compositeur, mais une de mes activités est la direction d’orchestre. Rester maître du tempo est la chose la plus essentielle pour l’académie dans les années qui viennent. ■