Les Ateliers d’art sacré, de la création, en 1919, à la renaissance de l’art sacré face à la modernité, 1939-1954
Lorsque Maurice Denis et George Desvallières ouvrent les Ateliers d’Art Sacré à Paris le 15 novembre 1919 dans l’ancien atelier de Paul Sérusier, 7 rue Joseph Bara, avant de s’installer 8 rue de Furstemberg non loin de l’atelier de Delacroix, les deux peintres partagent un projet artistique, sociétal et religieux. Ils bénéficient conjointement de la renaissance de la spiritualité dans la littérature (Péguy, Barrès, Claudel, Bergson). Conscient de la décadence de l’art sacré depuis le XIXe siècle piégé dans un académisme dévot, réduisant le message religieux à un programme thématique sclérosé, chacun d’eux est l’artisan d’un renouveau sacré dicté par une vocation spirituelle dont témoigne leur œuvre. C’est dans l’héritage des Nabis que Maurice Denis (1870-1943), membre du Tiers-Ordre dominicain et empreint de l’esprit franciscain, sensible à toutes les formes de mysticisme, de théosophie au rosicrucisme, s’attache à des sujets religieux avec une peinture classique, narrative et décorative en renouant avec l’esprit du Moyen Age. Élevé dans le sentiment religieux, George Desvallières (1861-1950) partage avec son coreligionnaire la spiritualité dominicaine. Membre de la Société de Saint-Jean, il milite dès 1912 pour la création d’une école d’art placée sous le patronage de Notre-Dame de Paris. Il entend lutter contre la décadence esthétique et symbolique, sentimentaliste qu’apprécient les fidèles comme le clergé.
C’est donc dans une volonté de réveiller un art chrétien dans l’esprit du compagnonnage, dans la pratique d’un beau métier, que les Ateliers d’art sacré créent sous l’autorité d’ecclésiastiques des ateliers spécialisés (peinture de chevalet, fresque, modelage, chasublerie) mis au service de la liturgie et de la théologie d’inspiration thomiste. Bien en phase avec la tradition médiévale et la perfection artisanale, une attention particulière est portée à la fresque dans le refus d’un individualisme incompatible avec la volonté de redonner un sens collectif à la création.
La question de l’art sacré est indissociable de l’art monumental oublié au profit d’une peinture de chevalet. Il faudra attendre les années 1930 pour voir des chantiers associer les grandes œuvres collectives à l’architecture. « Des murs, des murs à décorer » tel est le mot d’ordre de Denis qui parle d’une « vie des échafaudages ». La nomination du cardinal Verdier, archevêque de Paris met à contribution les Ateliers dont l’activité se renforce avec la création en 1929 des « Chantiers du Cardinal » et la construction de nouveaux lieux de culte. L’église du Saint-Esprit à Paris édifiée par l’architecte Paul Tournon sollicite une quarantaine d’artistes dont Desvallières qui réalise le Chemin de Croix (1925) et Denis des peintures. Par l’ampleur du programme cette église peut être considérée comme le manifeste du renouveau des arts sacrés. Desvallières enchaîne les commandes (cycle des Vierges glorieuses, chapelle séminaire Meaux 1937). En 1923, membre du jury pour l’Exposition Internationale du Carnegie Institute Pittsburg, il est accueilli aux États-Unis comme le rénovateur de la peinture religieuse en France.
C’est dans cet esprit de renouveau de l’art chrétien que Maurice Denis dispense une série de conférences qui seront publiées dans Nouvelles théories sur l’art moderne, sur l’art sacré (éd. Rouart et Watelin, Paris 1922). Ses réflexions rejoignent celles de Jacques Maritain avec la dimension éthique de l’art sacré et celle de « vérité non dans un sens naturaliste mais dynamique ». Maritain publie en 1920 Art et Scolastique, qui confère aux théories de M. Denis une « autorité dogmatique » qui se répercuteront trente plus tard dans l’ouvrage du Père Regamey Art sacré au XXe siècle. Parmi ses nombreuses peintures murales, citons la chapelle du Prieuré à Saint-Germain-en-Laye (1915-1922), l’église Notre-Dame-de-la-Consolation au Raincy des frères Perret, traduction des maquettes en vitrail confiée à Marguerite Hué, collaboratrice des Ateliers.
En 1924, une section d’Art sacré est créée au Salon d’Automne dont Desvallières est le président. Afin de répondre au succès des Ateliers, un « petit cours » est ouvert. Le réalisme y est proscrit (tout comme l’enseignement académique des Beaux-arts) au profit de « la Beauté des œuvres religieuses d’un caractère esthétique, traditionnel et moderne » (M. Denis). Chaque quinzaine, l’élève présente une esquisse corrigée par un maître : Denis, Desvallières, Pierre Couturier futur Dominicain, Souverbie, Laboulaye, Robert Boulet, J. Hébert-Stevens et sa femme P.Peugniez qui ouvriront leur propre atelier. Dans leur sillage naissent des ateliers de maîtres verriers : L.Barillet en collaboration avec J. Le Chavalier en 1920, l’Atelier Gaudin qui met au point la technique de la dalle de verre répondant aux exigences de l’architecture contemporaine. Le rôle joué par le vitrail est essentiel. C’est grâce à lui que les milieux religieux vont se familiariser avec l’art moderne. Les maîtres verriers sont tous des élèves de Maurice Denis et contribuent malgré eux au maintien d’une iconographie dans laquelle s’enlisera l’art sacré.
Malgré la détermination de rompre avec « le saint-Sulpicien », le bilan est sévère. Aucun artiste n’est sorti de ce phalanstère qui retomba dans un nouvel académisme. En 1935, la fondation de la revue L’Art sacré par J. Richard que dirigent à partir de 1937 les P.P. Couturier et Régamey relance le débat de l’art sacré.
En 1934 avait eu lieu une exposition intitulée L’Art Religieux d’aujourd’hui qui se tient au palais des ducs de Rohan à Paris. Y figurent aux côtés de Denis et Desvallières, Rouault, Gromaire, Goerg, Bazaine qui pointe dans son texte du catalogue la condition d’un vrai renouveau : « il n’y a d’art religieux que si la religion se confond absolument avec la vie ». Sous-entendu, les artistes non pratiquants ont leur place. « Qu’importe alors s’ils ne sont pas religieux d’abord, une profonde émotion humaine rejoint l’attitude du croyant » prédit le Père Couturier qui à partir de 1937 lance le chantier de l’église d’Assy.
En1947 les Ateliers d’art sacré ferment sur décision de leur conseil. L’échec est sans doute imputable à l’absence de modernité, dont le clergé n’avait pas compris qu’elle était synonyme de vitalité.