Par Lydia Harambourg, correspondant de l’Académie des beaux-arts.
À partir de 1993 et pendant une décennie, Pierre Carron va redonner aux chapelles du déambulatoire la double couronne d’une lumière céleste et naturelle. Une fois admis le choix de créations nouvelles pour remplacer les verrières endommagées ou détruites, Carron a traduit dans le verre coloré la liturgie céleste tel que le Livre de l’Apocalypse l’évoque avec la joie des saints et des anges.
Les premiers vitraux sont posés dans les chapelles Saint-Yves au nord et des saints Apôtres (tombeau des Évêques) au sud. Des bleus céruléens et des jaunes éclatants à l’unisson du caractère mystique et poétique. Les quatre chapelles au nord qui font suite à la chapelle Saint-Yves présentent une unité de pensée et de réalisation. Sur les deux baies de la chapelle Saint-Louis se lisent en bandeau le roi Louis IX enfant en buste accompagné d’une reine vêtue d’hermine, s’agit-il de Blanche de Castille ? Les trois verrières suivantes concernent celles de la chapelle de l’Ecce Homo (ancienne chapelle de la Sainte Épine) avec dans son médian la couronne de la Passion veillée par des anges. Pierre Carron relie la relique à la symbolique royale, celle du « béni roi » comme l’écrit Joinville dans sa Vie de Saint-Louis. La chapelle Saint-Charles-Borromée qui suit a suscité de nombreux dessins préparatoires, gouaches et maquettes de la part de l’artiste pour évoquer le grand humaniste et évêque du XVI e siècle. Représenté dans une mandorle, mitré et crosse en main, il est entouré de rinceaux d’une grande richesse décorative, la colombe de l’Esprit Saint au-dessus du chef. La dernière chapelle, consacrée à la figure emblématique de l’histoire orléanaise, Aignan, défenseur de la cité contre Attila, constitue un autre point fort de l’ensemble des verrières. Une composition ambitieuse qui associe les scènes de l’Annonciation, une Vierge à l’Enfant et Saint-Aignan revêtu des ornements pontificaux tenant le livre des Évangiles. Repris deux fois dans deux représentations d’un homme allongé et en marche, allusion au songe d’Aignan averti par Dieu de la prochaine attaque. Cette verrière montre également un cavalier portant l’armure et l’arme de Jeanne d’Arc, dont la figure est associée à « la ville de la Pucelle »
GRÂCE AU CIEL
Par Pierre Carron, membre de la section de Peinture
« N’est-ce pas, en effet, du ciel, de sa clarté, que dépend l’existence du vitrail ?
Le vitrail, cet « entre-deux-ciels » peint à contre-ciel, dans l’épaisseur d’une surface invisible, où ce qui est figuré se trouve transfiguré par la luminosité irisée de la matière : celle des visions mystiques.
Comment m’insérer dans l’existant sans le déranger, se servir de lui, le servir à son tour ?
Comment trouver, inventer les parties manquantes ? De quelle manière retisser les liens avec ce qui n’a cessé de composer l’histoire même du vitrail, lorsque l’on était encore en capacité de plier le prisme d’un arc-en-ciel aux exigences du récit, lorsqu’il n’était pas, comme aujourd’hui, question de décoration, ou bien de ces gestes d’impuissance dont l’époque est friande ? Comment faire basculer, rendre visible ce qui est de l’ordre de l’esprit, « ce qui est dit, ce qui est entendu », qui doit se résumer en une image ? Refuser la forme comme seul objectif, préférer s’abandonner, se laisser envahir par le thème ; en l’occurrence : une évocation de la palpitation angélique des célébrants des liturgies célestes, évoluant aux limites d’un au-delà, dans les pâleurs et la profondeur de l’azur, à la frontière de l’or végétal d’un claustra.
Que dire du privilège, que dire sur ce que furent ces dix années durant, où chapelle après chapelle, de cartons en cartons, me livrant dans une technique improbable à la peinture sur verre, centimètres après centimètres, procédant par des allers et retours entre décisions et laisser-faire, j’ai eu la surprise de constater qu’en fin de compte, en dépit d’une quasi-incompétence en la matière, grâce au ciel, tout avait pris tant bien que mal sa place, ce qui devait être confirmé par l’évêque, m’interpelant ainsi, à l’issue des travaux : « Et vous, dans tout cela, vous avez fait quoi ? ». Question reçue comme un compliment, en effet, mon vœu de ne rien déranger aurait-il été à ce point exaucé, aurais-je trouvé, retrouvé, grâce au ciel, presque à mon insu, ce que l’édifice attendait d’une restauration ?
C’est donc, pour en finir, que je conclurai par un « grâce au ciel », qui doit être pris, également ici, dans le sens d’une fervente action de grâces. »
UNE INITIATION PERSONNELLE
Par Régis Martin, architecte en chef des monuments historiques, maîtrise d’œuvre du chantier de 1998 à 2003
« Contrairement à d’autres peintres qui confient au maître-verrier, avec leurs cartons, le soin de la réalisation et de l’interprétation de leur œuvre, Pierre Carron a fait la démarche d’une initiation personnelle aux techniques du vitrail. Grâce à cette implication, son travail à Orléans porte l’empreinte concrète de la main de l’artiste. Sous l’œil bienveillant et dans l’atelier de Michel Blanc-Garin, il a su apprendre rapidement les fondamentaux de la peinture sur verre et de la cuisson, qui lui ont fourni, avec l’indépendance, une aisance immédiate. Conforté par la garantie technique d’un excellent professionnel, il a donné libre cours à ses idées et montré des facultés d’invention hors du commun. À son contact, le maître-verrier chevronné des ateliers Gaudin a confessé avoir reçu du plasticien une inoubliable leçon d’humilité. »