Nécessité sacrée de l’art

Par Jean Anguera, membre de la section de sculpture de l'Académie des beaux-arts

 

 

Jean Anguera, La terre jusqu’à l’homme, 2022, matériau composite, 102 x 37 x 69 cm.
Jean Anguera, La terre jusqu’à l’homme, 2022, matériau composite, 102 x 37 x 69 cm.
Photo DR

 

 

De la masse confuse et sans limite de la réalité, de son épaisseur et de sa substance, celui qui se veut artiste tente d’extraire quelque existence. Il tente d’en rendre perceptible la présence. Il voit, sent, entend, il ressent ce qui n’avait pas été ressenti auparavant, soit en dessinant un visage, en modelant une figure, soit plus modestement en affirmant un trait, une direction, ou en insistant sur un aspect, une couleur, un son, un mouvement...

L’art fait apparaître et à travers cette apparition il désigne l’inconnu. Il désigne l’inconnu mais sans être l’inconnu. Il fait apparaître sans être l’apparition. C’est là son rôle de rapprocher l’apparition en l’installant à portée du regard, à portée d’écoute.

Ainsi il donne un visage à l’homme, un contour à sa présence.

Toutefois ce visage n’est encore qu’une ébauche maladroite, une évocation sans vie et cette présence reste une ombre, une silhouette approximative, mais l’effort est fondamental pour que nous sortions de l’inconnu et de la brutalité, pour que nous puissions nous voir mutuellement et entrer dans l’intimité du voir.

Par la désignation, en direction d’une existence extérieure, se manifeste l’exigence de faire apparaître, et en direction d’une existence intérieure, le besoin de gagner en lucidité et d’empêcher l’effacement. En somme d’accorder sa pensée à l’être.

Pour répondre à l’exigence d’apparition et à l’obligation de son renouvellement incessant il s’agit de maintenir la désignation.

C’est l’acte artistique, soit tout ce travail de la représentation, celui d’un face à face, d’un dédoublement de soi, qui donne à la désignation un caractère durable, qu’il s’oriente vers le rituel par la répétition, comme la danse, ou vers la solidité des matériaux, comme la sculpture – il s’agit toujours d’un mouvement du corps et de la pensée qui ressemble à l’engendrement.

L’acte de désignation est en soi sacré. Il est couronné par son maintien dans le temps.