Patrimoine de l'Académie | La Fondation Jean et Simone Lurçat

Par Xavier Hermel, administrateur de la Fondation

La Fondation Jean et Simone Lurçat, la plus récente des fondations de l’Académie des beaux-arts, est née de la volonté de Simone Lurçat, veuve du peintre Jean Lurçat (1892-1966). Retour sur l’origine et les projets de cette jeune fondation qui célèbre, cette année, ses dix ans d’existence.

 

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Le salon de la maison-atelier. Photo Françoise Huguier

 

L'Histoire commence sous l’Occupation. À Toulouse, au lendemain du 11 novembre 42, une jeune institutrice, Simone Selves, décide de s’engager dans la Résistance.

Quelque temps plus tard dans le maquis du Lot, devenue agent de liaison, elle est appelée à conduire « une personnalité » du nom de Jean Bruyères. Elle croise sans le savoir le chemin de Jean Lurçat qui a choisi son nom de résistant en souvenir de la petite ville des Vosges qui l’avait vu naître.

Lurçat confiera plus tard : « Je me souviens, elle avait une veste de cuir, ou quelque chose comme ça. Elle m’a fait penser aux miliciennes de l’armée républicaine en Espagne. Elle se baladait en voiture, avec des grenades sous la banquette... ».

Tous deux joueront un rôle de tout premier plan au sein du Comité de Libération du département du Lot. La guerre finie, leurs chemins se séparent.

Simone Selves participe au rapatriement des prisonniers, puis est envoyée à Baden-Baden devenu le Siège du commandant en chef des Forces françaises en Allemagne. Lurçat, quant à lui, s’installe dans le Lot, dans son nouvel atelier du château des Tours-Saint-Laurent. Il trouve là le cadre idéal pour composer ses tapisseries monumentales.

À Paris, dix ans plus tard, leurs chemins se croisent à nouveau. En 1956, Lurçat, devenu veuf, épouse Simone qui lui apportera dès lors un soutien précieux à une période où les commandes affluent et les expositions se multiplient à travers le monde.

 

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Simone Lurçat et Jean Lurçat à Cologne lors de l'inauguration de la tapisserie Vin, musique et poésie, en 1962. Photo DR

 

Au décès de l’artiste, en 1966, Simone Lurçat œuvrera sans relâche pour défendre l’œuvre monumentale laissée par l’artiste et veiller à sa postérité. Ancrée dans le patrimoine français par quelques acquisitions de l’État, c’est surtout par la générosité de sa veuve que la présence de Jean Lurçat s’est inscrite durablement en province. Elle cède à la Ville d’Angers la tenture Le Chant du monde, œuvre testament, accrochée aux murs de l’Hôpital Saint-Jean. En 1986, elle choisit de faire don, au Conseil général du Lot, des Tours-Saint-Laurent, haut lieu de création de l’artiste.

Au soir de sa vie, souhaitant qu'un lieu à Paris rappelle la présence de Lurçat et soucieuse du devenir de la maison-atelier du 14e arrondissement, des collections et des archives qu’elle abrite, Simone Lurçat sollicite l’Académie des beaux-arts qui avait accueilli l’artiste en février 1964. Elle rencontre Marcel Landowski, alors Chancelier de l’Institut de France, qui reçoit le projet de donation avec enthousiasme.

Prémices au magnifique legs qui suivra, une première donation à l‘Académie des beaux-arts voit le jour en 2001. Elle donnera lieu à une exposition au Pavillon Comtesse de Caen de l’Institut de France, et connaîtra une itinérance à Moscou, à Riga puis en Pologne dans le cadre d’un projet européen.

Si, à son décès en 2009, plusieurs donations reviennent aux musées d’Aubusson, de Saint-Céré, d’Angers et d’Eppelborn (Allemagne), Simone Lurçat lègue la maison-atelier à l’Académie ainsi que les droits patrimoniaux et le droit moral attachés à l’œuvre de l’artiste. La détermination de l’Académie aboutit à la création de la Fondation Jean et Simone Lurçat en 2010.

La maison-atelier de Jean Lurçat, chef-d’œuvre parisien du Mouvement moderne, a été édifiée en 1925 par son frère André Lurçat (1894-1970). Elle est la première des huit maisons construites pour des artistes dans l’impasse de la Villa Seurat, l’un des trois ensembles urbains réalisés à Paris dans les années vingt. Maintenue dans son état d’origine, avec son décor et son mobilier réalisé par André Lurçat, Pierre Chareau, Matégot..., elle a été classée Monument historique en 2018.

 

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La maison-atelier de Jean Lurçat, conçue par son frère l'architecte André Lurçat, Villa Seurat à Paris, vers 1926. Photo DR

 

Le projet de restauration s’attache à mettre en valeur l’architecture novatrice d’André Lurçat et à restituer l’univers de Jean, véritable lieu de mémoire d’une authenticité préservée. La maison sera progressivement ouverte au public et offrira, pour les chercheurs et les étudiants en architecture, un champ de recherches architecturales, techniques et sociales exceptionnel.

Dans l’important programme de travaux, une première phase, réalisée dans le cadre d’une souscription lancée sous l’égide de la Fondation du Patrimoine et avec le soutien de la Drac Île-de-France, a déjà permis la mise hors d’eau de l’édifice.

Abritées par la Fondation, les collections personnelles de l’artiste représentent un patrimoine précieux pour comprendre sa création. On y retrouve toute sa diversité : peintures, tapisseries, céramiques, livres illustrés ainsi qu’un fonds de plus de mille dessins, pour la plupart inédits.

Une importante opération de récolement et d’inventaire se poursuit, et le classement, en cours, des archives de l’artiste – un fonds rare maintenu dans son cadre – offrira de nouvelles pistes de travail pour les chercheurs. Dans ce but, et répondant au souhait de Simone Lurçat, un centre d’archives et de documentation dédié à Jean Lurçat, associé à son frère André, ouvrira bientôt dans un lieu contigu à la maison historique, aménagé grâce à un généreux mécénat.

En 2016, l’exposition « Jean Lurçat, au seul bruit du soleil » à la Galerie des Gobelins, organisée par la Fondation en partenariat avec le Mobilier national et magnifiquement mise en scène par Jean-Michel Wilmotte, a rendu visible pour le public l’artiste dans toutes ses dimensions, notamment celle de représentant majeur des arts décoratifs au XX e siècle. À l’été 2020, au Pavillon Comtesse de Caen de l’Institut de France, une exposition de dessin inédits fera découvrir un aspect encore peu connu de son œuvre.

La Fondation se donne pour mission de devenir un relais pour tous ceux qui s’intéressent à Lurçat et à son contexte intellectuel, social et artistique. Les objectifs seront de travailler en conjonction avec les établissements liés à l'artiste, de nouer les partenariats nécessaires pour réaliser des expositions en France et à l’étranger, de renouer des contacts internationaux auxquels Jean Lurçat était très attaché, et de faire vivre le fonds par les éditions et rééditions.

La Fondation souhaite aussi compléter ses collections, non seulement par des œuvres, mais aussi par les témoignages laissés par cet infatigable épistolier.

Jean Lurçat s’est passionnément inscrit dans son temps. Il a vécu et pensé un monde en mutation rapide, il nous appartient d’en faire vivre l’esprit.

 

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