Par Jean Anguera, membre de la section de Sculpture
Établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, la Casa de Velázquez a pour mission de développer les activités créatrices et les recherches liées aux arts, aux langues, aux littératures et aux sociétés des pays ibériques, ibéro-américains et du Maghreb. Elle a également pour vocation de contribuer à la formation d’artistes, de chercheurs et d’enseignants-chercheurs, ainsi que de participer au développement des échanges artistiques et scientifiques entre la France et les pays concernés.
La France va ériger un nouveau temple où les amis de l’art puiseront des forces nouvelles dans le milieu et dans l’admiration d’une école où le réalisme a été porté aux plus hautes régions de l’idéal. » Voici les paroles prononcées par le souverain d’Espagne le roi Alphonse XIII lorsque, le 18 décembre 1917, il fait officiellement don à l’Académie des beaux-arts d’un terrain situé sur le plateau de la Moncloa. En retour, la France s’engage à y édifier ce qui deviendra la Casa de Velázquez, une résidence pour les artistes français afin qu›ils étudient l'art espagnol et ce fameux réalisme dont parle le roi et dont le peintre Velázquez fut un des plus brillants représentants. Le site, à la périphérie du centre de Madrid, est splendide. Il domine le rio Manzanares et la vue s’étend sur une plaine couverte de bois pendant une cinquantaine de kilomètres jusqu’au pied de la sierra Guadarrama qui culmine à plus de 2400 mètres. Une majeure partie de l’année on peut en voir les cimes enneigées depuis la résidence érigée dès l’année 1920 et inaugurée en 1928 pour accueillir ses premiers pensionnaires venus de France se nourrir de l’art espagnol.
Aux études artistiques s’est jointe la recherche scientifique sur le monde ibérique. Ainsi administrées par une direction unique, deux entités distinctes sont hébergées par la Casa de Velázquez : l’École des hautes études hispaniques et ibériques (EHEHI) pour tout ce qui est recherche dans le domaines des sciences humaines et sociales, et l’Académie de France à Madrid (AFM) qui regroupe les artistes résidents dont le recrutement est assuré dans le cadre d’un étroit partenariat avec l’Académie des beaux-arts.
Aujourd’hui placée sous la tutelle du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, l’institution, qui intègre le réseau des cinq écoles françaises à l’étranger, reçoit chercheurs et artistes dont les travaux peuvent à tout moment, mais librement, établir des correspondances.
Durant leur séjour, les artistes développent un axe de recherche en réfléchissant sur leur métier, sur leurs orientations esthétiques, et partagent leurs expériences. L’Académie de France à Madrid encourage l’expérimentation, accueille sans préjugé les expressions individuelles les plus variées et participe à la promotion des travaux de ses membres.
Durant une année universitaire, de septembre à juillet, la Casa de Velázquez met à la disposition des artistes des ateliers spacieux et tranquilles répartis dans le vaste jardin en pente, mais également des chambres et des studios pour les compositeurs ou les cinéastes, plus un certain nombre d’équipements disponibles dans le cadre d’ateliers collectifs. Favorisant un parfait épanouissement à leur création, la volonté à l’origine de l’institution est parfaitement respectée par le cadre qu’elle offre aux artistes. Avec la proximité des grands musées comme le Prado, le Musée Reina Sofia, le Musée Thyssen Bornemiza, ou encore les collections splendides de la Real Academia San Fernando, les artistes peuvent s’ouvrir pleinement à la culture ibérique, d’autant que la capitale espagnole se situe au centre géographique et politique de l’Espagne.
La promotion annuelle comprend 13 artistes. Leur recrutement s’opère parmi les quelque 250 candidats qui se présentent devant une commission composée d’une vingtaine de personnalités du monde de l’art, dont la moitié sont membres de l’Académie des beaux-arts (parmi ces derniers, le président du conseil artistique est choisi pour trois ans). La sélection se déroule en deux étapes. La première s’effectue par voie électronique et la seconde par la présentation des travaux et l’audition de ceux considérés par la commission comme étant le plus à même de profiter d’un séjour à la Casa de Velázquez.
Il faut insister sur la nécessité d’une commission très exigeante, détentrice d’une éthique irréprochable ”
Ce recrutement est très largement ouvert à l’international et aux modes d’expression les plus variés : peinture, sculpture, gravure et dessin, architecture, composition musicale, photographie, vidéo et cinéma. Il est à noter que beaucoup d’artistes pratiquent et mêlent plusieurs techniques ou disciplines. Cela ne contrevient pas à leur recrutement. Le regard porté par la commission, s’il est orienté par tel ou tel mode d’expression, n’y est pas circonscrit. Toutefois mêler les techniques ne signifie pas les maîtriser, c’est pourquoi il a été convenu de conserver leur distinction.
Il faut insister sur la nécessité d’une commission très exigeante, détentrice d’une éthique irréprochable, car le rôle essentiel que peut jouer la Casa dépend du choix des futurs résidents. Juger en conscience de leur engagement, de l’intime nécessité de leur démarche est indispensable puisque le bénéfice qu’ils tireront de leur séjour, s’il leur appartient d’évidence, aura un retentissement sur la notoriété de l’établissement et le sens de son existence.
Le séjour à la Casa ne doit aucunement représenter pour l’artiste pensionnaire une coupure avec son art ou une rupture avec ses possibilités professionnelles antérieures. Pour cela, un directeur des études veille à l’encadrement des résidents durant leur séjour et programme différentes manifestations, concerts, expositions, projections de cinéma, participation à des salons internationaux d’art contemporain, visites d’ateliers et éditions de catalogues afin de promouvoir leurs travaux à Paris, à Madrid et dans différentes villes espagnoles et françaises. Ils sont ainsi périodiquement sollicités pour montrer l’évolution de leurs recherches, ce qui reste la meilleure façon de les encourager.
À mi-parcours de la résidence se déroulent les « Portes ouvertes » qui permettent de confirmer la validité des projets artistiques. Elles suscitent une grande affluence du public madrilène et la délégation de l’Académie des beaux-arts marque souvent son enthousiasme face à la vitalité créative des résidents.
Cependant d’autres manifestations mobilisent ces derniers comme photo-España ou Itinérance – cycle d’expositions qui commence à Madrid et se termine à Nantes en passant par Paris et l’Académie des beaux-arts. Regroupant les trois Résidences publiques françaises à l’étranger, à savoir La Casa de Velázquez, la villa Kujoyama à Kyoto et la Villa Médicis à Rome, le festival « ¡Viva Villa ! » est l’évènement-phare qui marque la fin de la résidence à Madrid. Cette manifestation, créée conjointement par les trois résidences en 2016 et à laquelle Muriel Mayette-Holz, alors directrice de la Villa Médicis, a apporté une impulsion décisive, en est à sa quatrième édition et rencontre un succès annuel qui ne se dément pas. La dernière, d’une présentation irréprochable, s’est tenue du 10 octobre au 10 novembre 2019 dans la prestigieuse Collection Lambert en Avignon.
Il n’est pas possible de conclure cet article sans saluer le dynamisme inlassable du directeur de la Casa, Michel Bertrand, et de l’ensemble de son équipe. La qualité d’accueil de l’établissement et des travaux accomplis en son sein leur doit beaucoup.