Questions à Adrien Goetz, de la section des Membres libres, nouveau directeur de la bibliothèque Marmottan
Propos recueillis par Nadine Eghels
Nadine Eghels : Propriété de l'Académie située à Boulogne-Billancourt, la bibliothèque Marmottan, dont vous êtes le nouveau directeur, va faire l’objet de travaux importants, quels sont-ils ?
Adrien Goetz : Depuis deux ans, cette bibliothèque aux allures de villa italienne, située dans un des plus agréables quartiers de Boulogne-Billancourt, à deux pas de la piscine Molitor et de Roland-Garros, est fermée. Il est urgent qu’elle puisse à nouveau offrir aux chercheurs qui travaillent sur la période napoléonienne un accès aisé à son fonds ancien inestimable, composé de livres et de documents qui ont valeur de sources, de dessins et de gravures, cette collection historique qui était la passion de Paul Marmottan. Il a légué ce trésor à l’Académie des beaux-arts en même temps que son hôtel de la Muette, devenu le musée Marmottan Monet. À côté de cette bibliothèque, derrière les mêmes murs, se trouve un élégant pavillon qui a longtemps été le logement de fonction du directeur scientifique, Bruno Foucart, historien de l’art et professeur à la Sorbonne, disparu en 2018. Je l’ai bien connu, et beaucoup admiré, il était mon directeur de thèse. Il a su durant des années faire vivre ce lieu en lui insufflant son dynamisme et ses idées. Ces locaux sont aujourd’hui en mauvais état, ils nécessitent des travaux, ne serait-ce que pour en assurer le clos et le couvert. C’était l’occasion de réfléchir à ce que l’académie voulait faire de cet endroit unique, si séduisant. Elle en avait délégué la gestion à la Ville de Boulogne-Billancourt, elle s’en occupera désormais seule, en restant bien sûr en bonne intelligence avec les autres institutions culturelles de la ville, les musées, le conservatoire de musique... Marmottan n’avait pas voulu un musée, il n’avait pas non plus cherché un lieu datant de l’Empire qu’il aurait restauré pour abriter ses collections : il était de son temps et avait imaginé une bibliothèque moderne, conçue par lui avec ses architectes, inventant une sorte de « style Empire Marmottan », au milieu des arbres, décor idéal, petit palais conçu pour lire, écrire, réfléchir, une thébaïde. Dans ce pavillon, qui cessera d’être celui du directeur, dont les volumes seront évidemment respectés, avec son admirable et si élégante galerie de peintures, des appartements vont être aménagés pour de jeunes artistes. La remise pour la voiture, laissée à l’abandon, au fond du jardin, pourrait par exemple accueillir un sculpteur, qui pratiquerait la taille directe, ce qui aurait ravi notre très regretté confrère Jean Cardot, tandis qu’on installera à l’intérieur du bâtiment, à tour de rôle, au fil des années, un plasticien, un musicien, un architecte, un photographe... Des artistes qui passeraient quelques mois dans ces lieux accueillants et chaleureux, tandis que, côté bibliothèque, des étudiants termineront leurs thèses.
N.E. : Ces travaux s’inscrivent donc dans une volonté de l’Académie des beaux-arts et de son Secrétaire perpétuel de se mettre plus encore au service de la création, en offrant à ces jeunes artistes des bourses et des possibilités de résidences. Pouvez-vous nous expliquer cette démarche et plus particulièrement en ce qui concerne la bibliothèque Marmottan ?
A.G. : Nous allons créer en effet une petite villa des arts et de l’histoire très originale. Chaque année, seront accueillis dans ce lieu propice à la réflexion, à l’inspiration, des artistes choisis par concours, boursiers de l’Académie des beaux-arts, mais aussi un ou deux chercheurs travaillant sur l’Empire qui je l’espère seront heureux de ce retrait hors du monde à dix stations de métro du centre de Paris. Cet esprit nouveau donne des couleurs actuelles à l’idée généreuse de Paul Marmottan, tout change, pour que rien ne change – et on ne leur demandera pas de sculpter un buste de l’Empereur ou de composer une cantate en souvenir du Roi de Rome ! Marmottan aimait cette idée de correspondance entre les arts, c’est ce qui l’enchantait dans la Toscane d’Élisa Bonaparte, qui lui inspira un de ses meilleurs livres. Je voudrais que ce jardin avec ses pins, ses cyprès, son olivier, soit une Toscane hors du temps et de l’espace, une utopie réalisée, quelque chose qui se situerait entre le mythique jardin des Médicis et un laboratoire expérimental contemporain.
N.E. : Cette démarche globale nous renvoie à ce qu’était le Grand prix de Rome, supprimé par Malraux en 1968. Pourrions-nous envisager à moyen terme un Grand prix de Paris qui serait lancé et porté par l’Académie des beaux-arts ?
A.G. : Notre académie possède, ou administre, plusieurs lieux qui accueillent ou accueilleront des artistes, à Chars, à la Cité internationale des arts, et même dans le Palais de l’Institut. Laurent Petitgirard, notre Secrétaire perpétuel, a lancé un projet magnifique, que nous avons soutenu par un vote à l’unanimité, dans l’enthousiasme : les ouvrir très largement à la création. Nous pouvons aider chaque année une douzaine de créateurs, les sélectionner, les encourager, et quand je dis « créateurs », j’inclus les historiens. La future « villa Marmottan », autour du cœur battant qu’est sa bibliothèque, jouera sa partition dans cet orchestre. Elle possède, depuis l’époque de Bruno Foucart, un bel auditorium, auquel nous voudrions donner son nom. Il continuera d’accueillir colloques, conférences, lancements de livres, comme autrefois, mais on y entendra de la musique, des créations, on y verra des artistes parler de leurs œuvres, on y projettera des courts-métrages... D’autres œuvres pourront être montrées dans les salles d’exposition du rez-de-chaussée ou dans le jardin. Pourquoi ne pas y accueillir aussi des rencontres liées aux expositions qu’Érik Desmazières organisera au musée Marmottan Monet ? Il y a peu d’endroits où des artistes peuvent travailler et, s’ils le veulent, montrer ce qu’ils font, rencontrer le public, inviter des galeristes, des amis, à découvrir leur travail, peu de lieux aussi où des historiens, des historiens de l’art ou des musicologues peuvent se lier avec des artistes de leur génération. Je crois qu’André Chastel n’aurait pas parlé aussi bien d’histoire de l’art s’il n’avait pas été l’ami de Nicolas de Staël. Vous trouvez que cela ressemble à un prix de Rome ? Dans l’esprit peut-être un peu mais il ne s’agit évidemment pas de concurrencer la Villa Médicis, à laquelle l’Académie des beaux-arts accorde un soutien annuel. Ce qui va être passionnant, ce sera justement d’inventer autre chose... ■