Par Christian Paput, peintre, graveur
Formé à l’École Estienne pendant quatre années, j’ai eu la chance d’avoir pour professeur André Barre, graveur de timbres notamment, spécialiste de perspective curviligne avec son ami Albert Flocon et issu d’une longue lignée de Graveurs généraux de la Monnaie de Paris.
À la sortie de cette école j’ai pu mettre en œuvre mes connaissances et mon savoir-faire chez Jacques Hilarion dans l’atelier duquel les objets les plus divers, artisanaux ou industriels étaient fabriqués ou venaient s’enrichir d’une marque ou plus précisément d’une gravure. Je m’occupais essentiellement de la partie manuelle de la gravure.
À ma sortie de l’école, en 1969, je n’ai pas échappé à cette mode du retour à la nature qui a fait une des particularités de cette époque. Là ce sont diverses activités et surtout une expérience dans le bâtiment en tant que chef d’entreprise qui m’ont décidé à revenir à mes premières amours : la gravure (également sur les conseils de mon ami de promotion d’Estienne Daniel Gédalge). Mais nécessité faisant loi, le retour vers le grand centre qu’est Paris s’est effectué quelques années plus tard où pour faire vivre une famille, un certain volume de travail semblait indispensable.
Quelques temps de gravure avec un ami artisan puis c’est l’entrée au Cabinet des Poinçons de l’Imprimerie nationale sur la recommandation de Jean-Pierre Réthoré, graveur à la Monnaie de Paris.
C’est là qu’avec Jacques Camus et Michel Portron j’ai découvert et appris la gravure du Poinçon typographique avec l’énorme chance de disposer de la collection de poinçons typographiques latins et orientaux classée Monument Historique. La proximité de la bibliothèque de plus de trente mille volumes a complété mes connaissances du Livre, de son histoire et de ses techniques. Le bibliothécaire et ami Paul-Marie Grinevald a su par les nombreux échanges journaliers que nous avons pu avoir pendant vingt ans me transmettre ou plutôt renforcer ce goût du livre et de la connaissance que j’avais déjà.
Au fil des années, alerté par des établissements fermés ou en instance de fermeture, j’ai pu récupérer, avec le concours de l’administration de l’Imprimerie nationale, un grand nombre de pièces gravées, bois, clichés, fers à dorer, toutes en relation avec la typographie. La collection du Cabinet des poinçons comprenait 300 000 éléments gravés classés Monuments Historiques en 1946 et j’ai fait classer 200 000 pièces complémentaires en 1994.
J’ai pu travailler sur et autour de cette collection pendant vingt-trois ans. Puis, le changement de statuts, la vente des locaux parisiens de l’Imprimerie nationale, le déménagement dans des locaux provisoires et un dispositif financier en direction des salariés de l’IN m’ont décidé à quitter Paris.
De retour en province, après installation de mon atelier personnel, je grave, peins, sculpte et expose mon travail dans divers lieux proches de ma résidence depuis ces dix dernières années.
La gravure du poinçon typographique est extrêmement exigeante et réclame une attention, une précision et une concentration maximales. Son exercice ne se conçoit qu’avec toute la chaîne de fabrication jusqu’à la fonte des caractères. C’est pourquoi aujourd’hui, outre quelques poinçons qui sont en cours de finalisation, ce sont d’autres activités qui retiennent principalement mon attention.
Mes estampes issues de gravures sur bois sont des interprétations de sujets utilisant la lettre écrite ou typographiée, latine ou orientale. Ce sont les formes de cette plus petite unité signifiante du texte que j’assemble, que je groupe, que je transforme, pour parvenir à des œuvres qui, si elles semblent s’éloigner de la préoccupation purement typographique, comportent néanmoins toutes les caractéristiques de l’imprimé au plomb traditionnel.
Ces lettres à l’endroit ou à l’envers, verticales ou couchées, forgées par l’habitude de la pratique gravée ou typographiée, de la lecture dans un sens ou dans l’autre, portent en elles les cultures pour lesquelles elles ont été créées.
Elles sont statiques par essence à travers la gravure, et les recouvrements de surfaces sont rares. Au contraire, elles laissent percevoir un espace que certains diront de repérage aléatoire mais que pour ma part, j’appellerai espace vibratoire.
Les graphismes produits s’inspirent des typographies au plomb avec les contours incertains de l’impression, du foulage, de l’épaisseur de l’encre. Là réside une part de la spécificité de l’impression au plomb et c’est pour mettre cette caractéristique en vedette que ces gravures sont produites avec ces particularités.
Dans mon utilisation de la lettre comme matière d’expression, il y a le respect du signe, de la langue et de la typographie qui les exprime.
Comment ne pas considérer primordial, l’imprimerie et la création des caractères, « l’art qui contient tous les autres » selon les termes de la commission Jaugeon sous l’égide de l’Académie des Sciences créée par Colbert, ou encore avec Jean Cocteau : « Saluez donc, depuis l’écrivain jusqu’au dernier typographe, les intermédiaires entre vous et la foule. Admirez cet essaim dans la ruche où l’encre s’active, s’apprête à nourrir le monde, comme un miel noir ».
Noir de l’imprimé ancien ? Il faut se souvenir que l’imprimerie de textes a produit également en couleurs. Celles-ci, que l’on dit absentes de la typographie textuelle, sont bien présentes dès les débuts de l’imprimerie à partir du XVe siècle, dans les lettrines de début de texte ou plus tard dans des essais d’impression de textes en quatre couleurs comme au XVIIIe siècle avec le livre des saisons par exemple. (Le livre de quatre couleurs, Aux quatre éléments de l’Imprimerie des quatre saisons, 4444, Louis-Antoine Caraccioli).
La pratique de la peinture me permet, tout en restant fidèle à mon expression, des libertés que mon type de gravure ne me permet pas. Ce sont de nouveaux territoires que j’explore, comme la sculpture qui matérialise un peu plus la lettre et met en évidence la troisième dimension, présente aussi bien sur le poinçon typographique gravé (véritable sculpture), qu’à travers le papier foulé par le plomb. Avec la peinture, l’estampe, ou la sculpture, la dimension des lettres n’est plus en relation avec les forces de corps de la typographie traditionnelle et cette expérience élargit mon champ d’investigations. Les lettres ou éléments de lettres ne sont plus destinés à construire le sens des mots mais à habiter une surface graphique ou un volume.
Mon implication dans la vie publique et artistique de mon département comme Président des Amis du Musée Muséum départemental des Hautes-Alpes, avec l’organisation et la participation à des expositions ou à des conférences, se poursuit également dans ma ville de résidence, Tallard (Hautes-Alpes), où j’ai pris la responsabilité de la Culture et du Patrimoine, avec notamment l’organisation d’expositions d’art contemporain et de reliure.
Par ailleurs je participe avec « Forcalquier des Livres » et en alternance à la « Fête du Livre » ou à la « Fête du Livre d’artiste », selon les années, soit aux expositions soit par des conférences. Cette association organise depuis 1995 des événements autour du livre et de tout ce qui s’y rapporte, dont la typographie bien entendu, avec des invités venus du monde entier.
Ces fêtes sont l’occasion d’explorer tout ce qui touche, de près ou de loin, au livre, élargissant le propos à des plasticiens, des comédiens, des musiciens, des artisans du livre, lesquels ne sont pas moins concernés par le livre que les auteurs, les éditeurs ou les libraires.
En 2009 j’ai pu dans ce cadre participer au premier concours de livres d’artistes sur le thème « Des livres et leurs mystères ».