Quel destin que celui de cette maison simple bâtie en six ans par un maçon inculte pour un personnage complexe et ambigu, Curzio Malaparte qui la tenait pour son autoportrait « triste, dure et sévère ». Posée sur un promontoire rocheux de l’ile de Capri, cette villa (1937) concentre en elle toutes les dramaturgies de l’architecture. Pièce archéologique construite d’une seule matière, la pierre calcaire, elle reste inquiète quant à sa paternité. Est-ce l’architecte Adalberto Libera qui l’a dessinée ou bien l’écrivain lui-même qui aurait laissé au premier le soin de s’enquérir des autorisations administratives ?
Autant bunker scrutant l’horizon que Parthénon contemporain, elle n’appartient à aucun répertoire précis. Figée, accrochée à son rocher dans une radicale nudité, la Villa est un objet tantôt métaphysique tantôt rationaliste.
Sans le moindre effort d’ornementation, elle a pour seule fantaisie un voile courbe de béton posé sur la terrasse offrant de façon insolite une dimension humaine et intime dans cette mise en scène impériale. L’édifice suggère ainsi de façon très forte la notion de permanence à laquelle s’attache l’idée d’architecture et cette permanence qui nous fait prendre conscience de notre propre fragilité, elle le doit autant à son austérité qu’à son statut de future ruine fuyant le monde : peinte en rouge, elle fait la mer plus bleue, et basse, la falaise plus haute.
La casa come me théâtralise les passions architecturales et son calme active en nous un sentiment de nostalgie. Plus qu’à l’histoire romanesque de son créateur, elle se confond avec celle de ce paysage littéraire qui s’étend bien au-delà de son périmètre. Elle surveille, dans sa position de sphinx anachronique, un désert des Tartares qui attend Ulysse, lequel ne vient jamais.
Depuis ce navire immobile, du haut de ce trapèze de 32 marches simulant la montée solennelle du Capitole, avant celles du tapis rouge de Cannes, Malaparte nous fait croire que l’architecture est née ici, sur les bords de la Méditerranée.
Le personnage essentiel de ce dispositif est bien au bas de son piédestal : c’est la mer Méditerranée qu’elle montre plus qu’elle ne regarde et non cette pièce d’architecture énigmatique et sauvage dont l’auteur écrivain, devenu subitement modeste, ne revendiquera que l’invention de son panorama.
Cette maison « comme lui » le restera jusqu’à la fin. En définitive, la frugalité, l’apparence et les proportions de cette maison invoquent le dessin d’une tombe, la sienne, offrant au « pèlerin » sa petite largeur, laissant l’autre face s’adosser à l’inconnu qui de haut n’affiche que le calme d’une surface bleue. Si selon Mies c’est avec la première stèle que commence l’idée d’architecture, c’est ici, défiant l’horizon, que Malaparte trouvera enfin, après tant d’impulsions, sa nouvelle vie contemplative.