Anne-Sophie Marchoux, comtesse de Caen

Anne-Sophie Marchoux, comtesse de Caen

Née à Paris le 29 juillet 1809, Anne-Sophie Marchoux est le seul enfant de Louis-Auguste Marchoux, notaire de profession, et de Marie-Sophie Vernier, fille d’un magistrat du tribunal civil de Soissons. Élevée selon les normes de l’éducation bourgeoise en vigueur dans la première moitié du XIXe siècle, Anne-Sophie est une jeune femme instruite et cultivée, aussi artiste à ses heures, lorsqu’elle s’unit en 1836 à Camille Maximilien Eugène Léonidas comte de Caen (1807-1875), fils d’un général de l’Empire. Au décès de sa mère en 1843 puis de son père en 1854, la comtesse de Caen hérite de la fortune familiale et d’un important patrimoine immobilier sis dans le IIe arrondissement de Paris, notamment constitué de la galerie Vivienne financée par son père en 1823. Par les dispositions testamentaires de ses parents, la comtesse devient l’unique administratrice et gestionnaire de ce patrimoine immobilier dont elle consent néanmoins à partager une partie avec son époux, en échange de sa liberté. Fuyant en effet un mariage malheureux, Anne-Sophie Marchoux s’exile souvent à la campagne, d’abord dans sa résidence secondaire de Bellevue à Meudon, puis à la ferme du Prieuré de Saint-Georges-des-Sept-Voies, domaine hérité à la mort de sa cousine Louise-Alexandrine Rousseau en 1866. C’est en ses terres angevines qu’elle rendra son dernier soupir, le 12 avril 1870, non sans avoir pris soin au préalable d’édicter dans son testament toutes les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de ses fondations.
 

La comtesse de Caen et son legs à l'Académie des beaux-arts

En avril 1870, l’Académie des beaux-arts prend connaissance des dispositions testamentaires d’Anne-Sophie Marchoux, comtesse de Caen (29 juillet 1809 - 12 avril 1870), à l’égard des anciens pensionnaires peintres, sculpteurs et architectes de l’Académie de France à Rome. Son testament institue en leur faveur une fondation destinée à financer pendant trois ans leurs débuts dans la carrière à l’aide d’une bourse annuelle de 4 000 francs pour les peintres et sculpteurs et de 3 000 francs pour les architectes qui « ont moins de frais ». Une clause précise que les récipiendaires auront pour obligation d’exposer au moins une fois au Salon une œuvre de leur choix et d’exécuter un ouvrage spécialement conçu pour le futur musée qui en abritera les collections. Une partie des revenus locatifs des immeubles de la galerie Vivienne, que la comtesse de Caen léguait à l’Académie des beaux-arts, pourvoiront au financement de ces rentes.

En raison de nombreuses difficultés sur la succession, l’institution n’entre officiellement en vigueur qu’au 8 avril 1876 et concernera désormais tous les anciens pensionnaires peintres, sculpteurs et architectes ayant obtenu le grand Prix de Rome à compter de 1871 et ce jusqu’à la suppression du concours par André Malraux en 1968.
 

Dédicace pensionnaire Académie de France à Rome
Estampe dédicacée : La Comtesse de Caen née Marchoux – Les pensionnaires reconnaissants : Académie de France à Rome – Villa Médicis, cote A4 F30/2


Dépendante des revenus locatifs de la galerie Vivienne dont l’attractivité va baisser considérablement au cours des XIXe et XXe siècles, la fondation parviendra néanmoins toujours à servir les pensions, – même minorées entre 1898 et 1936 puis fluctuantes à partir de 1938 – , aux artistes revenus de Rome.

En créant sa fondation, l’objectif de la comtesse avait été de prodiguer aux jeunes artistes la faculté de travailler librement à leur art, – de s’essayer à des registres autres que ceux pratiqués à Rome ou de continuer de creuser le sillon du grand art –, sans qu’aucune entrave pécuniaire ne vienne arrêter leurs progrès. Elle estimait que l’éclosion du génie ne pouvait s’accommoder de contraintes notamment celles inhérentes aux commandes dont les sujets étaient imposés aux artistes :

« La plupart des jeunes gens, à l’expiration de leurs quatre années à Rome, ont une commande du gouvernement, mais on leur donne le sujet, ils sont obligés de s’y conformer, c’est ce que je veux éviter, car c’est entraver le génie. Dans aucun cas, les sujets ne seront donnés, chacun fera ce qu’il sentira le mieux ; c’est la seule manière d’avoir de véritables artistes, car si le sujet ne convient pas à un artiste, même de talent, il ne fera jamais ce qu’il est capable d’exécuter. Il est même impossible qu’un homme de génie puisse s’y conformer. On parle du feu sacré, mais c’est le moyen de l’anéantir. » (Extrait du testament olographe de la comtesse de Caen, Bellevue, 21 septembre 1857).

Les convictions de la comtesse de Caen sur l’art lui venaient sans doute de sa propre expérience pratique, – elle s’adonnait à la peinture et à la sculpture en amatrice éclairée –, mais portaient aussi l’empreinte de la génération romantique et des idées sociales de la doctrine saint-simonienne à laquelle son cousin angevin Achille-René Rousseau l’avait tôt initiée. Par son action, Anne-Sophie Marchoux incarne une figure du mécène moderne tant dans son rôle de soutien à la jeunesse artiste et à l’art vivant que dans son ambition d’imposer la liberté dans l’art comme condition préalable et nécessaire à toute forme de création originale.

par France Lechleiter