Un caractère pour Roissy

Par Paul Andreu, membre de la section d’Architecture

J’avais vingt-neuf ans quand j’ai commencé les études de la première aérogare de Roissy et j’étais ignorant de beaucoup de choses, mais curieux et respectueux de ce que j’ignorais. Au début l’urgence absolue était de définir, dans leur originalité, les grands principes fonctionnels et constructifs. Cela a pris des mois. Mais ensuite, progressivement, d’autres ambitions se sont imposées. Ce bâtiment, par sa destination, par sa taille, offrait la possibilité de tout reprendre dans une réflexion globale, les modes de construction, les aménagements intérieurs, les matériaux et les couleurs, la signalisation, les annonces, bref tout jusqu’au costume des hôtesses. Je ne savais comment m’y prendre, me méfiais de beaucoup des avis trop rapides ou trop intéressés que l’on me donnait, mais je voulais avant tout ne pas se laisser perdre une telle occasion. En recherchant de l’aide, j’ai surtout été attentif à la sincérité que je ressentais dans les mots de mes interlocuteurs.

C’est ainsi que j’ai rencontré Adrian Frutiger et que j’ai travaillé avec lui de nombreuses années à la signalisation de l’aéroport dans tous ses aspects. Ma première demande, aussi hardie que naïve, a été de lui demander le dessin d’un nouvel alphabet. Il ne m’a pas découragé mais a pris le temps de m’expliquer patiemment mille choses sur les caractères, leur origine, leur évolution, leur lisibilité, les contraintes et les limitations que la culture imposait à leur dessin. J’ai passé avec lui des après-midi entières à l’écouter, à le questionner. Peu de gens m’ont influencé autant que lui car je voyais comment ce qu’il me disait de la perception des caractères, changeant avec les langues et les cultures, pouvait éclairer et préciser certaines questions d’architecture négligées souvent, ou abandonnées aux hasards de la fantaisie.

Je ne peux ici raconter en détail comment, mais à l’issue de ce travail dans lequel mon seul mérite aura été la curiosité jamais satisfaite, Adrian Frutiger a conçu une fonte nouvelle. Limitée aux problèmes pratiques de l’aéroport, elle s’est d’abord appelée Le Roissy. Adoptée ensuite pour d’autres usages, les informations des services le long des autoroutes, certaines des publications du Musée du Louvre, elle a été ensuite développée pour tous les usages, sous le nouveau nom de Frutiger. Et chaque fois que je la vois employée, avec une certaine fierté d’avoir aidé à sa création, je repense avec affection à Adrian Frutiger, à nos longues conversations, à tout ce qu’il m’a appris et que je n’ai pas oublié. 

 

« J’étais ignorant. « Ce nouvel alphabet est fait pour une aérogare ronde. Pourquoi le O n’est-il pas, comme le plan de la gare, un cercle parfait ? » ai-je demandé à Frutiger. Il était patient : il a dessiné le cercle que je souhaitais et m’a montré en l’intégrant dans un mot, et ce mot dans une phrase courte, qu’il entravait la lecture. Jamais je n’ai compris aussi simplement ce qu’est la culture. »

L’Aéroport International Paris-Charles de Gaulle et sa forme circulaire si caractéristique. Photo DR
L’Aéroport International Paris-Charles de Gaulle et sa forme circulaire si caractéristique. Photo DR
Paul Andreu : « J’étais ignorant. « Ce nouvel alphabet est fait pour une aérogare ronde. Pourquoi le O n’est-il pas, comme le plan de la gare, un cercle parfait ? » ai-je demandé à Frutiger. Il était patient : il a dessiné le cercle que je souhaitais et m’a montré en l’intégrant dans un mot, et ce mot dans une phrase courte, qu’il entravait la lecture. Jamais je n’ai compris aussi simplement ce qu’est la culture. »
Paul Andreu : « J’étais ignorant. « Ce nouvel alphabet est fait pour une aérogare ronde. Pourquoi le O n’est-il pas, comme le plan de la gare, un cercle parfait ? » ai-je demandé à Frutiger. Il était patient : il a dessiné le cercle que je souhaitais et m’a montré en l’intégrant dans un mot, et ce mot dans une phrase courte, qu’il entravait la lecture. Jamais je n’ai compris aussi simplement ce qu’est la culture. »