Par Dominique Perrault, membre de la section d’Architecture.
« Un hôtel des Postes est un outil, rien qu’un outil. Les besoins industriels de la poste varient constamment, non seulement l’importance totale de l’outil varie, mais encore la proportion de ses parties. [...] Et cet outil, quel qu’il soit, ne fera qu’un temps, et un temps assez court. Il durera tant qu’il correspondra aux besoins industriels à satisfaire [...]. Un hôtel des Postes, si important qu’il soit, est par définition un édifice provisoire, en tout cas transformable. » (1)
L’immeuble conçu et réalisé par Julien Guadet s’insère parfaitement dans la typologie des nouvelles artères haussmanniennes. Développant une façade en pierre de taille avec des travées réglées par de puissants contreforts et des avant-corps de bâti en légère saillie, marquant les quatre angles du nouvel îlot, l’hôtel des Postes est monumental, occupant un emprise de près de 6 500 m², et une surface de planchers de près de 32 000 m².
Dans l’esprit de Guadet, si l’hôtel des Postes « est un outil », et « a beau n’être qu’une usine comme fonctionnement », c’est également un monument de la République, ce qui explique le choix d’édifier toutes les façades sur rue en pierre, la noblesse du matériau marquant la présence physique d’un bâtiment remarquable dans le nouveau cœur de Paris.
Cette double situation fonde le projet de Guadet, qui la traduit tant dans la spatialité que dans la matérialité même de l’édifice. Ainsi, entre « l’usine » et « l’hôtel administratif », non seulement l’altimétrie des planchers et l’ampleur des volumes intérieurs varient, mais le système constructif en lui-même est différent. Tandis que les planchers métalliques des bâtiments de la rue du Louvre se raccordent aux murs en maçonnerie, la structure métallique de l’usine, franchissant de grandes portées, repose sur des colonnes de fonte en applique sur les façades sur rue.
Ainsi, derrière l’apparente unité du monument, existe en réalité une véritable indépendance aussi bien architecturale que fonctionnelle et organisationnelle entre l’hôtel des Postes, à vocation publique ou administrative, adressé rue du Louvre, et « l’usine », où s’opère le travail postal proprement dit (tri, distribution du courrier et transbordement des dépêches) qui s’organise en cœur d’îlot et s’ouvre sur les trois autres rues.
Ces deux entités programmatiques sont chacune structurées autour d’une cour centrale afin de traiter les besoins spécifiques de chaque activité en éclairage et ventilation naturelle. Ainsi, l’hôtel des Postes s’organise en U autour d’une cour à partir du 1er étage, garantissant l’éclairage naturel zénithal (par le biais d’une verrière) de la grande salle des Guichets, située en jonction entre l’hôtel et « l’usine ».
L’immeuble de la Poste aujourd’hui
« Le service est modifiable, les besoins relatifs peuvent varier, et le mieux est d’établir les divisions selon qu’elles seront nécessaires [et] qu’on puisse facilement déplacer » (2)
Conçu comme un outil évolutif et flexible, l’hôtel des Postes a traversé près d’un siècle et demi d’histoire en révélant sa capacité à se transformer et répondre aux nouveaux usages de l’administration postale, au travers de diverses campagnes de modernisation plus ou moins heureuses du point de vue de leur réalisation. Confronté à la modernisation du mode de locomotion, avec la substitution de l’automobile aux véhicules hippomobiles, à l’intensification des échanges postaux, télégraphiques et téléphoniques, à la mécanisation des activités postales et à l’accroissement des besoins en surfaces utiles, l’hôtel des Postes a fait l’objet de grandes campagnes de travaux, principalement dans les années 60 à 80.
Ainsi, le grand volume du rez de chaussée de l’usine fut ainsi complètement entresolé pour permettre le stationnement des véhicules postaux, modifiant les proportions des façades qui étaient autrefois largement percées de généreuses arcades, éclairant et aérant le rez-de-chaussée et le sous-sol, et nécessitant la création d’une rampe obstruant aujourd’hui encore le passage Gutenberg. La création de nouvelles circulations verticales a par ailleurs modifié le volume de la cour de l’hôtel des Postes et les interventions dans la grande salle du public firent disparaître à la vue des utilisateurs la verrière et les décors d’origine.
Enfin, dans les années 70, un incendie ravagea en partie la toiture de l’immeuble, et les grands combles qui éclairaient à l’origine les deux corps de bâtiments parallèles aux rues Étienne Marcel et Gutenberg (épais de 31 m. chacun) furent remplacés par une toiture terrasse restructurant significativement l’immeuble d’origine. Mettant en œuvre l’approche pragmatique, fonctionnaliste, quasi physiologiste de l’architecture, qui est celle que l’architecte enseigne à l’École des Beaux-Arts de Paris et théorise dans son traité Éléments et théorie de l'architecture, Guadet conçoit un prototype organisé sur cinq niveaux (du sous-sol au troisième étage), parvenant, grâce à la parfaite maîtrise des sciences de l’ingénierie, à empiler des fonctions qui se déployaient jusqu’alors toujours de plain-pied.
Ce projet est l’occasion pour Julien Guadet de mettre en œuvre « le classicisme non historique (3) », « l’architecture de pure forme (4) », qu’il enseigne à l’École des Beaux-Arts, consacrant les principes de la composition sur les styles, qui eux évoluent sans cesse (5).
La révélation du patrimoine (6)
« ... Restructurer c’est se positionner, prendre parti pour une histoire plutôt qu’une autre. Restructurer c’est faire des choix, juger les éléments du passé pour retenir ceux qui composeront les bases d’une nouvelle histoire. Si l’architecte ne prend pas position pour une histoire, il ne restructure pas, il conserve, il réaménage. La restructuration au sens plein du terme, telle que nous la comprenons dans le cadre du projet, possède une double dimension : la dimension médicale du rétablissement, de la remise aux normes, elle vise la santé de l’édifice, son bon fonctionnement. Mais la restructuration est également prospective car en même temps qu’elle soigne, elle prolonge la vie, offre de nouvelles voies, élargit le champ des possibles pour écrire de nouvelles histoires. L’histoire que nous racontons est celle de la transformation d’un îlot à vocation unique en un îlot urbain, opération rendue possible grâce aux qualités intrinsèques de l’immeuble de Guadet et à son insertion au cœur d’une séquence urbaine remarquable, donnant tout son sens au projet de restructuration.
Il ne s’agit pas de conserver à tout prix, coûte que coûte, en dépit du projet. Notre travail d’architecte a consisté à ajuster, à régler le projet pour mettre en valeur les éléments dont la conservation est essentielle. Il a fallu, à titre d’exemple, dégager les conditions de la conservation, ou plutôt définir les modalités du réemploi de la façade en conciliant mise aux normes et confort des usagers, c’est-à-dire composer avec l’existant pour y héberger et y faire vivre de nouveaux usages. »
Ce travail de révélation transfigure la Poste du Louvre pour passer de l’état d’îlot industriel à celui d’îlot urbain.
1. J. Guadet, « Les hôtels des Postes et Télégraphes », La Construction moderne, 3e année, n° 22, 10 mars 1888, p. 256.
2. Cf. étude patrimoniale réalisée par Le Grahal et analyse historique réalisée par l’historien Guy Lambert.
3. Reyner Banham, Theory and Design in the First Machine Age (1960), Cambridge (Mass), 1986 p.19.
4. Colin Rowe, « Review: Forms and Functions of Twentieth Architecture by Talbot Hamelin », The Art Bulletin, 1953.
5. Cette perspective est largement développée dans l’ouvrage de Jacques Lucan, Composition, non-composition, Architectures et théories, XIX e – XX e siècles.
6. Extrait de la notice de présentation du projet de Dominique Perrault en phase concours, avril 2012.