Entretien entre Jean Guervilly, architecte et Alain-Charles Perrot, membre de la section d’Architecture.
Alain-Charles Perrot : Lorsque nous sommes convenus d’écrire ensemble cet article portant sur la création architecturale en liaison avec un état construit existant, tu m’as dit : « Je ne sais si je peux parler de création, dans la mesure où je fais toujours la même chose ».
Je pense que c’était le mot juste. De la même manière je fais toujours la même chose lorsque je restaure, aménage ou fais évoluer une construction, un monument existant.
Jean Guervilly : Dire que l'on fait toujours la même chose était une réponse un peu abrupte. Le travail de l'architecte est particulièrement obsédant. Les projets se succèdent les uns après les autres, ils sont tous différents, mais en réalité on ne fait pas plusieurs projets mais une série de projets, et cette série s'étale sur plusieurs années.
Pour ce projet d'extension et de rénovation du Couvent des Jacobins à Rennes, le problème a été différent : il s'agissait d'installer un programme important dans un lieu peu propice à le recevoir. Tout le travail au niveau du concours a consisté à essayer d'installer les différents espaces dans le bâtiment existant et à regarder de quelle façon il était possible de construire un bâtiment neuf susceptible d'accueillir les autres espaces que l'on ne pouvait installer dans le monument.
Nous n'avons pas voulu redécouper les espaces intérieurs du monument qui nous paraissaient de grande qualité, et il a fallu, dans l'espace restant, construire le reste du programme tout en étant conforme au plan local d'urbanisme de la ville de Rennes.
C'était très difficile. Aujourd’hui les problèmes sont résolus, les difficultés ne sont pas visibles dans le projet et les photos spectaculaires du chantier qui montrent le couvent en lévitation disparaîtront. Il y a de l'élégance à ne jamais montrer la difficulté.
A-C. P. : Pour moi un artiste, pour exercer son art, doit aller chercher dans le fond de « ses tripes », de son esprit, de son âme, selon sa sensibilité, ce qu’il est nécessaire pour lui d’exprimer. C’est l’acte créateur. Il utilisera ensuite son talent, son savoir, son habileté pour faire en sorte que ce qu’il a pris dans le fond de lui-même prenne forme, prenne « la » forme.
Si, à l’issue de cette démarche, ce qu’il a exprimé entre en résonnance avec la sensibilité ou l’intelligence de ses contemporains, son art sera reconnu ; si ce n’est pas le cas, il lui faudra attendre que le public soit prêt à cette compréhension qui peut ne jamais arriver.
En architecture, cette attente ne peut exister tant l’investissement financier est important.
Pour s’exprimer, l’art de l’architecte doit trouver « la commande » et doit donc être apprécié, dans le temps présent.
J. G. : Le programme du concours que nous avons remporté réclame un projet binaire. D’un côté, le couvent restructuré est restitué à l’espace public avec la solennité qu’il convient. De l’autre, un ouvrage neuf de forme simple vient à l’ouest s’adosser, se greffer au précédent avec retenue.
A-C. P. : Il m’a semblé, en caricaturant un peu, que pour toi la création contemporaine était primordiale et qu’elle devait s’imposer au lieu, que le monument existant n’était que l’opportunité offerte d’avoir un bel emplacement dans la ville, une mémoire, mais qu’il n’était en quelque sorte qu’un support pour une nouvelle architecture. Support qui pouvait être presque gênant s’il présentait trop de contrainte.
J. G. : Au contraire, c’est dans la logique du respect du monument existant et de ses vestiges que nous avons établi un programme de restauration, de conservation et de mise en valeur des bâtiments anciens, protégés au titre des Monuments historiques. Nous avons cherché, lors de la conception de notre projet, à respecter les espaces originaux de l’édifice. Il fallait pour cela libérer au maximum les lieux patrimoniaux des contraintes de programmation et en conséquence chercher le plus possible à aménager, dans les infrastructures, les grandes salles demandées au programme.
C’est ce que nous avons fait, non seulement dans le terrain aux abords du monument avec la salle de 1000 places, mais aussi en aménageant une salle de 500 places sous l’assiette du cloître, ainsi que sous l’aile ouest des bâtiments conventuels.
A-C. P. : Le projet du centre de conférence était une magnifique opportunité pour que ce monument oublié, qu’était l’ancien Couvent des Jacobins, possédant en ses murs tant de mémoire, puisse retrouver son âme et des qualités artistiques, et que le public redécouvre cette œuvre d’art.
J. G. : Le nouveau projet développe les surfaces attendues dans un rapport équilibré entre volumes enchâssés et volumes émergents. L’impact du bâti en est d’autant réduit et le regard embrasse d’abord l’ensemble du couvent révélé, qui devient maintenant une pièce majeure dans la perspective générale de la ville.
L’expression du nouveau volume relève d’une certaine abstraction quand les parois de l’ouvrage ne montrent ni la technicité de la structure, ni la spécificité des espaces intérieurs.
Pour autant, l’édifice ne se camoufle pas derrière un voilage rapporté mais tire son image unitaire de la composition même de ses façades. Sur tout son périmètre extérieur, le bâtiment filtre la lumière naturelle pour en faire bénéficier les plateaux intérieurs. L’apport lumineux est soigneusement géré par les percements des panneaux, diffusant ou repoussant la lumière au gré des espaces et en fonction des besoins. Offrant depuis le dehors une parfaite fluidité des lignes, le volume abstrait ne laisse pas transparaître la silhouette des plateaux.
Le bâtiment est au final plus dynamique dans le deuxième mouvement, celui de ses façades, que ne l’annonce a priori le caractère silencieux de son volume. C’est cette posture duale avec le couvent qui équilibre définitivement le nouvel ensemble.
A-C. P. : C’est à ce moment que la créativité doit être accompagnée du talent nécessaire pour que sa réalisation conserve sa force initiale.
La création en architecture est une véritable démarche artistique qui doit se poursuivre à tous les niveaux du projet et doit être assez profonde pour ne pas perdre sa force au cours du long processus qui se déroule entre les choix des concepts, la mise au point du projet et sa réalisation avec les nombreux intervenants qui l’accompagnent et l’exécutent.
Elle demande énergie, détermination, mais peut offrir le bonheur profond d’une création aboutie.
guervillymauffret.wordpress.com