La rénovation de la Samaritaine, une architecture sensible en résonance avec la ville

Par Kazuyo Sejima et Ryue Nishizawa, architectes associés de l’agence SANAA.

La rénovation de la mythique Samaritaine est un projet majeur pour le rayonnement de Paris parce qu’il conjugue des ambitions à la fois architecturales, urbaines et économiques. Il s’agit tout à la fois de rénover et mettre en valeur un patrimoine architectural exceptionnel, d’accueillir de nouveaux usages pour pérenniser le site, et de renouveler l’image de la Samaritaine par un geste architectural contemporain et innovant qui marque sa renaissance et « ré-enchante » une rue de Rivoli en panne d’attractivité.

Lauréats en 2010 à l’issue d’une consultation internationale d’architectes, nous avons abordé avec fierté mais aussi humilité ce grand chantier, pleinement conscients que nous n’intervenions pas sur un territoire anonyme, mais dans le Paris historique, sur un « monument » cher au cœur des Parisiens et inscrit dans un environnement patrimonial majeur.

 

Un projet complexe et exigeant

 

Le programme est complexe et le contexte exigeant. Nous avons mission de continuer l’histoire architecturale de la Samaritaine, en assumant et en prolongeant l’œuvre de nos talentueux prédécesseurs, Frantz Jourdain et Henri Sauvage, tout en interrogeant la capacité des bâtiments à accueillir de nouveaux usages (un hôtel de prestige, des logements, des bureaux et une crèche) en plus du Grand Magasin qui occupera près de 40% du site.

La tâche n’est pas facile. Remettant sans cesse l’ouvrage sur le métier, un travail itératif avec la maîtrise d’ouvrage, les Architectes des Bâtiments de France et la Direction des Affaires Culturelles, a nourri nos questionnements : comment aménager un quartier de vie dans un ensemble immobilier unitaire dont l’essentiel (80% des surfaces) est protégé au titre des Monuments historiques ? Comment transformer un site introverti en lieu de vie ouvert sur la ville ? Comment faire émerger une identité commune malgré la diversité des fonctions et l’hétérogénéité architecturale du site ? Autant de questions multiples auxquelles nous sommes attachés à apporter une réponse urbaine et architecturale excluant superflu et gratuité pour installer une véritable relation entre la ville et la Samaritaine, l’espace architectural et la diversité des publics qui devront se l’approprier : habitants et employés du quartier et de la Samaritaine, clients et visiteurs, Parisiens et touristes.

Une identité architecturale entre mémoire et création

 

C’est dans une dialectique entre création et conservation, mariage de l’ancien et du neuf, que se construit l’identité architecturale de la nouvelle Samaritaine. Celle-ci se lit tout particulièrement, rue de l’Arbre-Sec, dans la greffe fine de nouveaux logements sur des immeubles d’habitation du XVIIe siècle réhabilités. Le principe de préservation des structures d’origine guide de la même façon le remodelage de la partie « Jourdain plateaux », avec notamment la conservation d’une partie des planchers et de l’ensemble des façades. Il en va de même pour la restructuration du bâtiment « Sauvage » ou encore pour la rénovation intérieure du « hall Jourdain » avec la restitution de la verrière d’origine (1905) et la rénovation de l’escalier monumental. Les façades historiques sont toutes conservées, rénovées, mais doublées d’une façade intérieure créant des jardins d’hiver pour améliorer le confort thermique et acoustique de l’hôtel et des logements.

 

Composer avec l’environnement de la rue de Rivoli

 

À la demande de la Samaritaine, nous avons d’abord envisagé de conserver l’intégralité de l’îlot Rivoli existant avec ses façades. Il est alors apparu qu’en raison de la configuration des lieux héritée de remaniements successifs (notamment des différences de niveaux irrattrapables), ce façadisme était un non-sens. L’idée, partagée sans réserve par les ABF, s’est alors imposée d’une re-création contemporaine procédant d’un travail de composition avec l’environnement du bâtiment et son histoire.

Composition d’abord avec la réalité de la rue de Rivoli aujourd’hui, un axe urbain particulièrement dur qui fait frontière plutôt que lien, caractérisé dans cette séquence populaire par une architecture composite rythmée par des bâtiments imposants. Nous avons pris le parti non seulement d’apporter de la douceur à l’ambiance de la rue mais aussi d’ouvrir l’îlot sur la ville, en dé-densifiant le site existant (-14 000 m2). Deux cours contemporaines sont ainsi créées au cœur de l’îlot Rivoli et du bâtiment « Jourdain plateaux », invitant le visiteur à progresser depuis la rue de Rivoli vers la Seine dans une grande variété d’ambiances, aimanté par les « surprises » architecturales qui rythment son itinéraire jusqu’à la découverte, en apothéose, de l’historique « hall Jourdain sous verrière ». D’un espace à l’autre, l’effacement recherché des structures, les jeux de perspectives ménagent des continuités visuelles et assurent une transition douce entre la ville et le cœur d’îlot.

Composition ensuite avec l’échelle monumentale et le style Art Déco et Art Nouveau des autres Grands Magasins de la Samaritaine voisins. Nous avons repris le vocabulaire architectural de Frantz Jourdain et d’Henri Sauvage avec le souci d’inscrire la nouvelle Samaritaine dans la continuité de cette séquence urbaine. Nous avons notamment choisi de réutiliser leurs matériaux, le verre et l’acier, mais en faisant appel aux technologies d’aujourd’hui pour gagner en finesse et en légèreté. Avec sa double peau de verre finement ciselée, la façade rue de Rivoli réfléchit subtilement dans ses plis la finesse de l’ornementation parisienne alentour, change avec les variations de lumière suivant les saisons, laisse deviner le spectacle qui se joue à l’intérieur. Cette impression d’une façade sans cesse en mouvement est accentuée par le dessin des courbes qui enveloppe l’îlot Rivoli et adoucit l’échelle monumentale du bâtiment.

 

Fluidité, lumière, douceur, effets d’atmosphère... l’architecture de la nouvelle Samaritaine est délibérément une architecture sensible dans un environnement qui, de notre point de vue, la réclamait. Une « architecture de renouvellement », liant les héritages et le mouvement perpétuel de changement qui caractérise la ville et lui donne un avenir. 

www.sanaa.co.jp

L'ensemble du projet vu de la rue de la Monnaie. Kazuyo Sejima, Ryue Nishizawa, agence SANAA, architectes.
L'ensemble du projet vu de la rue de la Monnaie.
Kazuyo Sejima, Ryue Nishizawa, agence SANAA, architectes.