Annette Messager tisse son œuvre. Entre ses mains, le tissu est un outil. Coupes, assemblages, collages donnent naissance à des créatures mystérieuses, hybrides qui sont un hommage à peine voilé à la magie des métiers à tisser, au travail laborieux du tissage qui renouvelle le textile et sa dimension sociale. Son regard subversif et décalé ouvre les pratiques textiles traditionnelles à la création contemporaine.
Le temps des « Chimères » est terminé
Commencée en 1982, cette série fut exposée au Musée des beaux-arts de Calais dès 1983.
Il y a deux ans, un important dégât des eaux dans une réserve me fit déplacer rapidement certaines de ces Chimères sur un autre mur ; je les superposai et j'ai trouvé cette accumulation assez juste, elles avaient été réalisées et assemblées dans l'urgence et l'allégresse, je décidai alors de garder cette présentation pour le Musée.
La ville de Calais est liée à mon enfance ; je fus très impressionnée, petite fille, par la sculpture de Rodin Les Bourgeois de Calais, par le mouvement des bras et des mains expressionnistes avec cette énorme clef de la ville qui m'inquiétait beaucoup.
J'y garde pour moi seule un autre souvenir amoureux....
Les régions du Nord de la France sont liées au textile et la ville de Calais a développée au XIXe siècle l'industrie de la dentelle mécanique.
Ces petits morceaux de tulle ou de dentelle, si légers, si délicats, si sophistiqués, sortent magiquement du ventre d'énormes machines vibrantes et bruyantes, un mystérieux enchantement!
Tout aussi étrange pour moi, le nom des métiers liés à leurs instruments de travail : l'Écailleuse ; la Dévideuse ; le Bobineur ; l'Esquisseuse ; le Wappeur ; la Wheeleuse...
Pour la Cité de la Mode et de la Dentelle, j'ai voulu rendre hommage aux couturières anonymes, professionnelles ou pas, dites « les petites mains », appellation méprisante pour ces femmes si patientes à l'étonnant savoir-faire, qui s'abîment les yeux au travail.
Paradoxe de cette ville, non loin du luxe de la mode, du tulle et de la dentelle, il y a la grande souffrance de très nombreux migrants qui arrivent, qui vivent sans ressources, tentant de gagner l'Angleterre par bateau ou camion. Un Afghan a risqué le passage cette nuit, il est revenu, il recommencera...
On ne peut être insensible à cette singularité paradoxale de la ville dont l’actualité est si brûlante, si douloureuse.
Annette Messager
« Hommage aux couturières »
L'Hommage aux couturières d'Annette Messager témoigne et résume son engagement de créateur. Réalisée en 2015, cette installation présente sept rubans de couturière de trois mètres suspendus au mur. Les spectres des couturières poursuivent sa démarche d’appropriation et de détournement d’outils. Ici pinces à cranter, épingles à nourrice, aiguilles, ciseaux à broder, à cranter, à dégarnir, coudés, à bouts ronds, sont pendus comme des vêtements de mineur dans la salle des pendus. Agrandis, démesurés, ces outils des couturières sont en skaï noir rempli de kapok. Corporalité du tissage, métaphore de la couture, célébration du textile qui resitue la place de l’humain dans le monde. ■
Lydia Harambourg
« Histoires de robes » (1990-1991)
Le vêtement, c’est une nouvelle peau qu’on se choisit ; petit cérémonial quotidien de protection, de parure qui entoure notre corps, le fragmente, le voile pour mieux le dévoiler.
Nos habits changent avec l’âge, s’élargissent, s’assombrissent avec le temps ; au début robes d’enfant aux couleurs aquarellées, puis robe de première communion, robe de mariée, robe de grossesse, robe du soir, robe de deuil...
Mes Histoires de robes sont toujours présentées dans des vitrines mi-coffret de verre de contes de fées pour princesse endormie, mi-cercueil, désir gelé devenu intouchable. ■
Annette Messager