Par Alain-Charles Perrot, membre de la section d’Architecture.
Àl’issue du premier concours d’architecte lancé en France en 1862, Charles Garnier est retenu comme lauréat pour construire le Nouvel Opéra de Paris, voulu par Napoléon III à l’emplacement déterminé par le nouvel urbanisme de Paris conçu par le Préfet Hausmann.
Charles Garnier est alors âgé de 35 ans. Il va imaginer avec son agence un ensemble architectural dans lequel il va concevoir le mobilier ainsi que tous les détails de sa décoration. Même les artistes invités, sculpteurs, peintres, mosaïstes, recevront des directives précises au niveau des sujets, de leur disposition, de leur coloration.
Tout naturellement, Charles Garnier va aussi déterminer les dessins des tapisseries et damas destinés à orner les salles du nouvel Opéra ainsi que le drapé des tentures et des rideaux.
L’ensemble de ces dispositions avait disparu au cours du xxe siècle. Lors de la restauration de la salle, Jean-Louis Robert, architecte des bâtiments civils et palais nationaux, n’avait pu retrouver le dessin du damas des loges et avait reconduit le motif qui existait alors.
Lors de la restauration du Grand Foyer de l’Opéra voulu par son directeur, Hugues Gall, il a été décidé de remettre en place le décor textile original. Pour cet ouvrage nous possédions les dessins gravés en couleur qui montraient le motif de ces tentures et leurs dispositions. Très avant-garde, ces décors annonçaient l’Art Nouveau et mêlaient un entrelacs végétal autour des motifs allégoriques de l’Opéra, notamment la lyre que l’on retrouve partout au sein du monument.
A partir de ces documents nous avons lancé une recherche afin de refaire tisser ces étoffes, leurs bordures, leurs passementeries, leurs broderies et les éléments de quincaillerie les accompagnant.
Nous nous sommes rapprochés de la Maison Prelle, fabricant de soieries à Lyon qui possède des archives exceptionnelles sur les productions lyonnaises depuis le xviie siècle.
Quelles ne furent pas notre surprise et notre joie de retrouver dans les archives de cette maison les véritables pièces originales des tissus de rideaux, ainsi qu’un petit linéaire de la bordure brodée correspondant aux dessins que nous possédions. Nous avons pu ainsi refaire tisser, en matériau non feu, l’ensemble de ces tentures et lambrequins brodés, et les remettre en place.
Peu d’années après, le Prince Rainier de Monaco a lancé la restauration de l’Opéra de Monte-Carlo, réalisé par Charles Garnier en 1875, dont j’ai eu l’honneur d’être le Maître d’œuvre.
Dans le cadre de cette restauration s’est à nouveau posée la question des damas qui venaient tapisser les loges. Dans un premier temps fut arrêté le métrage qui était nécessaire pour faire tisser ces damas. Nous sommes arrivés à un métrage de 700 mètres linéaire, ce qui correspond à une commande notable.
Les archives des soyeux de Lyon possédaient la référence de la commande des tissus, leurs motifs et leurs couleurs ainsi que les métrés mais ne précisaient le lieu de leur mise en œuvre.
C’est à partir du métré et de sa date du tissage que la Maison Prelle, encore elle, a pu retrouver dans ses archives, en 1878, la fourniture de cette commande et donc la pièce échantillon qui était conservée.
Ce damas de couleur rouge présentait un motif de palmette et nous avons pu déduire avec certitude que cette fourniture avait été fabriquée pour l’Opéra de Monte Carlo et donc dessinée par Charles Garnier. Nous savions par ailleurs que celui-ci, pris par le temps, avait utilisé les mêmes artistes et éléments décoratifs. Ainsi, cette découverte a aussi permis de retrouver le damas qui avait été mis en place à l’origine au sein du nouvel Opéra de Paris. Celui-ci a donc été mis en fabrication pour tapisser les loges de l’Opéra Garnier, lors de leur restauration, tout au moins ce qui en reste après les récentes destructions d’une partie d’entre elles.
Il a aussi été utilisé pour tapisser l’ascenseur mis en place par l'Aga Khan dans les années 1920, lors de sa restauration en 2010.