Par Aymeric Zublena, membre de la section d’Architecture.
Concevoir des stades, ces arènes où, dans une commune passion, dans un vibrant enthousiasme, se rassemblent des dizaines de milliers de spectateurs, est une étape importante dans le parcours d’un architecte. Nous sommes quelques-uns en France et dans le monde à avoir eu cette chance. Je ne sais pas combien de stades se sont construits ces trente dernières années. À chaque Coupe du monde, Jeux olympiques, Euro football, il s’en réalise de nouveaux.
Longtemps érigés à la périphérie des villes, ces monuments du sport sont aujourd’hui conçus comme des catalyseurs d’urbanité. Ils étaient, à l’origine, projetés et dessinés pour accueillir des manifestations sportives et un public, pour l’essentiel, masculin. Je n’évoquerai pas ici les parades de certains régimes totalitaires.
Les stades récents ont une vocation plus large, ce sont d’immenses enceintes où peuvent se déployer les spectacles les plus variés pour un public diversifié, accueilli dans des conditions de confort que n’ont pas connues ceux qui fréquentaient les stades anciens.
Leur utilisation, autrefois intermittente, quelques jours par mois, est de plus en plus régulière. Ces constructions, souvent financées auparavant par la collectivité, le sont maintenant par des investisseurs privés. Ce sont des « machines à spectacles », des machines spectaculaires qu’il faut rentabiliser, magnifiques architectures dont les dimensions et les prouesses techniques les apparentent aux ouvrages d’art. La télévision aime à les présenter, les caméras à tourner autour pour faire découvrir leur immensité et l’arabesque de leurs couvertures.
Comment se conçoit l’architecture de ces monuments, qu’est-ce qui la détermine, qu’est-ce qui inspire les architectes ?
Un stade c’est d’abord une arène. Sa forme rectangulaire, selon le mode anglais, ou elliptique, si elle doit accueillir l’athlétisme, est dictée par des exigences fonctionnelles : parfaite visibilité pour chacun des 60.0000 ou 80.000 spectateurs assis dans la vertigineuse verticalité des gradins, rapidité d’évacuation du public après le spectacle, sécurisation et stricte différenciation des secteurs où circule la foule, voiries spécialisées et souterraines pour les cars des sportifs, les caravanes de télévision, les pompiers, les ambulances, les camions des techniciens etc.
Ce sont ces contraintes qui déterminent la géométrie de l’arène. Tous ceux qui ont pu découvrir la pelouse et l’envolée des gradins au sortir du couloir qu’empruntent les sportifs au moment du match, ont eu le souffle coupé devant l’ampleur de l’espace qui s’ouvre devant eux. Mais pourtant ce n’est pas là que s’expriment de la façon la plus marquante, la plus spectaculaire, l’innovation architecturale et l’invention formelle qui caractérisent les nouveaux stades.
C’est dans l’enveloppe qui les recouvre que se manifestent leur originalité et leur nouveauté. Ces enveloppes, ces toitures sont conçues pour répondre aux exigences de confort des spectateurs d’aujourd’hui et aux besoins des organisateurs de spectacles. Mais elles sont surtout la signature architecturale des nouveaux stades.
Rappelez-vous, les gradins de la plupart des stades construits avant la Seconde Guerre mondiale, et même quelques années après, n’étaient que partiellement couverts par de modestes auvents d’une architecture sommaire. Au stade de Colombes rénové pour les Jeux Olympiques de 1924, l’architecte Louis Faure-Dujarric ne couvrit qu’une partie des gradins par de simples charpentes métalliques pour respecter le budget limité qui lui était imposé.
Ce n’est qu’en 2000 que les gradins du stade Olympique de Berlin, dessiné dès 1933 par Werner March, furent recouverts en totalité. Ceux du « Stade des Marbres », conçu en 1928 à Rome au sein du Foro italico par Enrico del Debbio, ne le seront pas.
Souvenez-vous du Maracana, ce temple mythique du « Futbol » construit par le Brésil pour accueillir la coupe du monde de 1950, pensez aux 200.000 spectateurs cuisant, debout, stoïques sous les rayons d’un soleil implacable. Seuls quelques rares privilégiés étaient à l’abri. C’est bien plus tard qu’une première couverture complète fut réalisée. Réduit à 79.000 spectateurs et mis aux normes de la FIFA pour la Coupe du monde de 2014 et les Jeux Olympiques de 2016, il est maintenant doté d’une magnifique couverture annulaire.
En 1967, Roger Taillibert projette le nouveau Parc des Princes. Il imagine une couverture révolutionnaire en béton, immense auvent elliptique de cinquante mètres d’encorbellement. Moins de dix ans plus tard, il réalise le stade olympique de Montréal et sa couverture de toile suspendue à une immense tour inclinée. Elle deviendra le symbole de la ville.
J’ai toujours en tête le stade de Munich construit pour les Jeux Olympiques de 1972 par l’architecte Behnisch et sa merveilleuse toiture conçue par Frei Otto.
En I994, je dessine, avec mon confrère Macary, le Stade de France et son disque de six hectares qui flotte à 40 mètres au-dessus de l’arène et du parvis. Puis, à Suwon en Corée du Sud, la toiture du stade des « Blue Wings » qui prend la forme d’une immense aile d’oiseau. Au nouveau stade olympique d’Istambul, le croissant de la couverture repose sur une poutre de 200 mètres de portée, évocation d’un pont jeté entre deux continents.
Récemment, avec la Scau et Didier Rogeon, nous couvrons le stade Vélodrome de Marseille d’une vague opalescente. Elle s’illumine le soir des matchs des lumières colorées et changeantes qui inondent les gradins.
Le Wembley stadium de Norman Foster, son arche de 133 mètres inscrite dans le ciel de Londres et son toit rétractable accueillent en 2012 les Jeux Olympiques.
En 2013, Rudy Ricciotti livre le nouveau stade Jean Bouin recouvert d’une enveloppe alvéolaire, à double courbure en BFHUP (béton fibré à ultra haute performance).
À Nice, le stade de Jean Michel Wilmotte déroule depuis 2013 sa coque de verre. À Lille, dans le stade Pierre Maurois, Valode, Pistre et Ferret font coulisser le toit, tapis volant d’acier de 7400 tonnes qui couvre ou découvre la pelouse.
Je ne saurais oublier la magnifique corolle du vélodrome et de la piscine olympique de Berlin conçus en 1992/99 par Dominique Perrault, ni les voiles tendues du stade Charlety d’Henri Gaudin.
Dans le monde, de grands architectes ont construit et construisent encore des stades splendides qui répondent à de nouvelles fonctions. En magnifiant cette simple exigence des maîtres d’ouvrages : protéger des intempéries des milliers de spectateurs, ils ont, par des architectures audacieuses, participé à la métamorphose des stades, transcendé la réponse fonctionnelle et réalisé des chefs-d’œuvre.