Par Pierre-Yves Trémois, membre de la section de Gravure
Qu’ils soient divins, religieux, fabuleux, imaginaires ou descriptifs, les bestiaires émergent des temps immémoriaux. Ils furent à l’aube de la pensée, imaginés, dessinés, gravés, écrits sous la pulsion, l’impulsion, de l’amour ou de la crainte de l’animal, par les hommes, dans un climat de magie ou de religion.
L’Orient, l’Asie, l’Afrique furent leur berceau.
Depuis les rituels magiques d’Altamira, où le culte du Dieu-Taureau combattant s’inscrivait pour l’éternité sur les parois des cavernes. Depuis Mithra-Héros-Sacrificateur immolant son taureau, ce Dieu animal, ce Dieu du Soleil et de la Lune dispensateur de la semence génératrice qui deviendra plus tard, bien plus tard, l’Agneau Mystique. Puis vinrent s’ajouter nos souvenirs obsessionnels et enfin « la Morale », bel et bien inventée par les humains, qui ts’est glissée pour les asservir, en oblitération des incantations magiques animalières. Alors les bestiaires se réduisirent peu à peu à des fables aux fins moralisantes.
Cependant un nouveau culte est né : celui de l’image. Malgré les milliards d’images photographiques animalières, malgré les safaris photos, le cinéma, la télévision, malgré les incursions scientifiques afin de percer les mystères du monde animal, celui-ci demeure énigme ; il garde sa distance aristocratique, mythique, anthropomorphique ou pas, il nous crie nos rêves les plus fous.
Henry de Montherlant ne faisait-il pas dire au chœur de son admirable Pasiphaé : « J’hésite parfois, si l’absence de pensée et l’absence de parole ne contribuent pas beaucoup à la grande dignité des bêtes, des plantes et des eaux ». Et n’écrivait-il pas dans une préface dédiée à une de mes récentes expositions : « Le monde animal attire Trémois et le monde humain. Mais plus que tout, les gravures où s’accouplent les deux règnes touchent l’auteur de Pasiphaé. On les dit « troubles », alors qu’elles sont limpides, et « inquiétantes », alors qu’il y a une paix sublime dans les deux règnes réconciliés par un bonheur commun. »
Quant au côté fabuleux, Hésiode, Bidpay, Aristote, Pline, Oppian ne puisèrent-ils pas largement dans le fonds, le tréfonds des aurores animalières persanes, sassanides, hindoues, égyptiennes, chinoises, etc. Mais depuis, que de bestiaires moralisateurs !
Mon objectif pour l’illustration de cette présente ménagerie fut de concilier ou d’essayer de réconcilier les « deux règnes » calligraphique et graphique. Alors pour les textes accompagnant les dix animaux choisis, un pèlerinage aux sources des alphabets primordiaux était indiqué. Il fut même le prétexte à ce Bestiaire Solaire. ■
Lettre à Pierre-Yves Trémois
Jean Rostand, février 1971
« Mais ce qui d’abord en cette œuvre, a touché mon cœur de naturaliste, c’est l’importance qu’elle donne à la vie animale, la façon dont elle s’intègre à l’univers humain.
Trémois ne voit pas seulement dans la bête un objet d’intérêt ou d’amusement visuel. Il s’identifie à elle, comme s’il ressentait physiquement, charnellement la parenté qui nous y relie. On dirait qu’il vit, à sa manière, le grand mot que prononçait Darwin en songeant aux animaux : « Nous sommes tous fondus ensemble ».
Cette parenté, cette fraternité avec la bête, elle ne se manifeste nulle part avec autant d’éclat que dans le domaine de la sexualité. L’ubiquité de l’amour est un des thèmes fondamentaux de l’histoire naturelle. Recherche aveugle d’un plaisir d’où sortira la vie, tension de l’instinct vers l’assouvissement passager, voracité à l’égard d’autrui, besoin de se mêler à un prochain qui ne soit pas tout à fait pareil : tout cela en quoi l’homme se retrouve et se reconnaît, a inspiré à Trémois quelques-unes de ses plus fascinantes compositions. Il n’a pas son égal pour fixer par le burin les étreintes des crapauds, les enlacements des salamandres, les jonctions aériennes des libellules.
Trémois m’a fait la joie en ces dernières années d’illustrer quelques textes de moi. Et j’ai eu la surprise de voir que par la vertu de son dessin, il avait su dire des choses que je n’avais pas dites avec des mots. Il y aurait de belles pages à écrire pour qui saurait traduire en prose les images dont Trémois nous fait don. » ■