Il y a 150 ans : l’inauguration du musée des antiquités celtiques et gallo-romaines

Par Hilaire Multon, directeur du Musée d’archéologie nationale-Domaine national de Saint-Germain-en-Laye.

Le 12 mai 1867, cinq ans après le décret impérial ayant conduit à sa création, l’empereur des Français Napoléon III inaugure le Musée des antiquités celtiques et gallo-romaines, à l’occasion de l’Exposition universelle qui se tient à Paris, 12 ans après celle de 1855 marquant les premières années du régime. Ce dernier poursuit une ambitieuse politique muséale, tirant parti de l’élan impulsé par Prosper Mérimée avec la création de l’Inspection des Monuments historiques en 1830 et de la Commission nationale des Monuments historiques en 1837. Si le Musée de Saint-Germain-en-Laye, dédié aux antiquités du territoire national, est la seule création muséale à avoir survécu à l’anti-bonapartisme consubstantiel de la IIIe République, des travaux récents sont là pour rappeler, dans l’histoire des musées nationaux, l’importance du Palais de l’industrie, des grands travaux conduits au Louvre autour de la collection Campana, sans oublier les nombreux “palais-musées” réalisés en province (Musée de Picardie à Amiens, Palais-Longchamp à Marseille) à la faveur de l’émulation créée autour des sociétés savantes pendant ces années. Cette vitalité muséale tient autant aux dynamiques provenant de la société qu’à la continuité d’une politique du patrimoine et à la vision de la nation portée par le régime bonapartiste : une nation où les œuvres de l’art et les collections publiques sont au service d’une certaine idée de la grandeur, où l’édification du citoyen – même rigoureusement contrôlé – passe par la confrontation avec le passé dans toute son épaisseur, où le musée est l’émanation d’une profondeur temporelle qui sert à éclairer la modernité. Ce rôle civique et, dans la mesure où il sert alors à re-légitimer le régime napoléonien, de propagande, est présent dans les textes fondateurs de ce qui est alors désigné sous le nom de Musée des antiquités celtiques et gallo-romaines. Dans une note sur l’organisation du Musée de Saint-Germain datant de 1863, Adrien de Longpérier, membre de la Commission constitutive, s’exprime ainsi : “Le musée des antiquités gauloises doit être un établissement scientifique où l’historien et l’archéologue trouveront et pourront apprécier avec facilité les documents les plus précieux, les plus instructifs relatifs aux ancêtres, où la nation française pourra en quelque sorte contempler son berceau”.

Les origines et les débats qui accompagnent la création de l’institution sont tout à fait éclairants. Par une circulaire datée du 27 novembre 1857, l’empereur fixe en effet le cadre de la future Commission de Topographie des Gaules qui vise à rassembler l’ensemble de la documentation sur les vestiges de l’ancienne Gaule, prémisses de la carte archéologique de la France. Felix de Saulcy en est le premier Président.

Le décret du 17 juillet 1858 crée la Commission qui compte d’éminentes personnalités dont Alexandre Bertrand, ancien membre de l’École française d’Athènes, “père de l’archéologie gauloise”, appelé à diriger le musée fondé à Saint-Germain-en-Laye de 1867 à 1902. L’empereur s’intéresse directement aux travaux de ce “cercle” composé de hauts fonctionnaires de l’Empire à l’image d’Alfred Maury, de Prosper Mérimée, de Viollet-le-Duc, de familiers de la cour impériale comme le numismate Felix de Saulcy, et d’officiers comme Creuly. On y trouve également des universitaires, des spécialistes des périodes anciennes mais aussi des correspondants locaux dans chaque département, à l’image d’un Bulliot au Mont-Beuvray. Mélange subtil de parcours, d’expériences, de compétences, cette Commission contribue à sortir ceux que l’on désigne alors comme “antiquaires” de leur isolat ainsi qu’à la mise en place d’un premier réseau de l’archéologie nationale de 1857 à 1879, date à laquelle celle-ci se fond dans le Comité des travaux historiques et scientifiques.

Non pas que l’empereur, ses goûts, sa personnalité soient étrangers à la création du musée que l’on pense d’abord installer dans l’orangerie du Palais de Compiègne, là où l’empereur reçoit ses invités, où sont organisées les fameuses “séries”. Bien au contraire, en septembre 1862, il reçoit avec émotion des mains de Mérimée le fameux canthare en argent découvert dans les fouilles d’Alise-Sainte-Reine (Alésia). Il se rend à plusieurs reprises sur des chantiers de fouilles, notamment à Alésia en juin 1861 alors que le débat fait rage sur l’identification du lieu de la bataille décrite par Jules César dans La Guerre des Gaules, à Gergovie en juillet 1862 mais aussi sur le site de Champlieu, à la lisière sud de la forêt de Compiègne (Oise).

Amateur de découvertes archéologiques, collectionneur, donateur du musée, Napoléon III suit par ailleurs de très près cet imposant chantier qu’il accompagne d’une impressionnante restauration du monument conduite par l’architecte Eugene Millet. À partir de 1862, il se rend à huit reprises - et chaque année - au musée de Saint-Germain, notamment le 29 juin 1866 aux côtés de l’impératrice et du prince impérial. Cartographier l’histoire, maîtriser le territoire, “fabriquer la nation” : telles ont été les objectifs premiers de la Commission de la Topographie des Gaules avec lettres aux préfets, aux recteurs, avec désignation de correspondants locaux, avec va-et-vient permanent entre la fouille et sa valorisation. Tel est aussi l’esprit de la fondation du Musée des antiquités celtiques et gallo-romaines qui met à disposition, dès son origine, des collections intégrées dans une pédagogie, des dispositifs de médiation innovants (cartels, cartes murales, maquettes, moulages) permettant au visiteur de comprendre et d’apprendre. Le réprouvé devenu Empereur des Français, le “Saint-Simon à cheval” épris d’arts industriels et de modernité économique, l’admirateur de César et de son génie tactique soucieux de construire une nouvelle influence française dans le “concert des nations” ne pouvait qu’adhérer à un projet de musée d’un nouveau genre. Il était de fait très éloigné d’un cabinet d’antiques et des conceptions, à ses yeux étriquées, de certains hiérarques du Louvre. Plus qu’à l’idée de musée, c’est à un mode d’exposition mêlant documents authentiques et message civilisateur auquel adhère Napoléon III dans une mythologie qui n’est pas uniquement celle du «roman national» mais s’appuie également sur un processus engagé dans toute l’Europe.

Le premier musée d’Antiquités nationales créé par C.J. Thomsen à Copenhague en 1807 fut également pionnier et explique les liens étroits de Frédéric VII Danemark et de Napoléon III lors de la constitution des collections du musée de Saint-Germain. Faut-il rappeler que dans le livre d’inventaire du MAN les 347 premiers numéros sont occupés par la collection danoise, Frédéric VII se trouvant être le premier donateur du Musée ? Cet exemple danois servit lors de la création du musée romain-germanique de Mayence en 1852. Le succès de ce dernier tout autant que le projet politique qu’il porte pour la nation conduisent Napoléon III à fonder le Musée des antiquités celtiques et gallo-romaines le 8 mars 1862. Davantage, c’est un climat d’effervescence archéologique qui accompagne et d’une certaine façon conditionne la création du Musée installé dans le château de Saint-Germain-en-Laye. Au cours des décennies 1860-1870, les fouilles se multiplient et des sites majeurs sont découverts : Solutré en 1866 ; Thenay en 1867, Cro-Magnon en 1868, Campigny en 1886. L’entrée de la préhistoire dans les institutions s’accompagne bien entendu de l’entrée de collections préhistoriques dans les musées, et notamment au MAN, réceptacle du débat qui a lieu alors le monde académique autour de “la plus haute antiquité de l’homme” et des origines lointaines de la France. Lors de l’ouverture des huit premières salles du musée de Saint-Germain, deux d’entre elles, situées au premier étage, étaient consacrées à la préhistoire.

On mesure ainsi que l’ouverture du Musée des antiquités celtiques et gallo-romaines en 1867 - présentant notamment les vestiges découverts sur le site d’Alise-Sainte-Reine (Alésia), ainsi que le plan d’Alésia et de celui des défenses de César - participe autant de l’idéalisation de l’unité de la Gaule que d’une aspiration puissante à l’universel à travers l’émergence de la science préhistorique et la présentation de découvertes majeures, dont l’écho traverse l’Europe savante, questionnant les origines mêmes de l’homme.

musee-archeologienationale.fr

Façade ouest du musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye. © MAN - Aurélie Vervueren
Façade ouest du musée d'Archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye.
© MAN - Aurélie Vervueren
Salle I – salle de la Préhistoire, 1er étage, en 1867. © MAN - Archives
Salle I – salle de la Préhistoire, 1er étage, en 1867.
© MAN - Archives
Tête dite “La dame à la capuche” ou “La dame de Brassempouy”, ivoire de mammouth (3,65 × 1,9 cm), grotte du Pape, Brassempouy (Landes, vers 21 000 ans avant notre ère. © L. Hamon - MAN
Tête dite “La dame à la capuche” ou “La dame de Brassempouy”, ivoire de mammouth (3,65 × 1,9 cm), grotte du Pape, Brassempouy (Landes, vers 21 000 ans avant notre ère.
© L. Hamon - MAN
Statuette dite “Vénus”, stéatite (4,7 x 2 cm), vers 25 000 avant notre ère. © RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale) / Jean-Gilles Berizzi
Statuette dite “Vénus”, stéatite (4,7 x 2 cm), vers 25 000 avant notre ère.
© RMN-Grand Palais (musée d’Archéologie nationale) / Jean-Gilles Berizzi