Par Pierre Buraglio, peintre.
Roger Vailland, rencontré dans ma jeunesse, donne au Nouvel Observateur, le 26 novembre 1964, un article intitulé "Éloge de la politique". Il y tient ce discours : "Se conduire en politique, c’est agir, au lieu d’être agi, c’est faire l’histoire, faire la politique au lieu d’être fait, d’être refait par elle" (je souligne "refait"). Il poursuit, à propos de la notion de respect : "Le respect dû à chacun, à chacune (et non le "respect", imposé, subi), c’est le contraire de la politique".
Vailland conclut ainsi cet article prémonitoire : "En attendant que revienne le temps de l’action, des actions politiques, une bonne, belle, grande utopie (...)". C’est ainsi que j’ai vécu Mai 68 et particulièrement à l’Atelier populaire de l’École des beaux-arts où furent imprimées, jour et nuit, près d’un million d’affiches et journaux muraux. Utopie ressentie, intégrée – mais entendons-nous bien –, pas un rêve éveillé, pas l’inatteignable (cf. les slogans maximalistes des Situationnistes), pas de l’imposture, mais faisant corps avec le Réel, avec ce mouvement de l’histoire, celui-ci comptant neuf millions de grévistes. Utopie nourrissante pour tendre vers, à... le Bonheur pour le grand nombre. Bonheur, mot tocsin que Saint-Just prononça à la tribune de la Convention en 1794.
Les affiches furent imprimées d’abord en lithographie puis en sérigraphie. Les plus efficaces, c’est-à-dire dont l’impact est tout à la fois immédiat et durable ("L’affiche doit-être un coup de poing" : Paul Colin) seront les plus concises, tant par leur mot d’ordre, que par leur dessin. Les plus belles seront, selon moi, celles réalisées selon la technique la plus rudimentaire, celle du "Darwing gum". Brièvement : les parties qui ne sont pas à imprimer sont obstruées par de la gomme arabique. Ce procédé exige un dessin au trait et un lettrage bâton. Contrainte productive. Quant au papier ce sont des bobinots récupérés, comme les camions d’encres bleue, marron, etc., qui arriveront des imprimeries et magasins occupés. Les affiches seront monocolores.
L’atelier... c’est-à-dire les écrans, les tables, les fils tendus pour le séchage, etc., était installé dans l’ex-atelier Maurice Brianchon (dont je fus élève).
En conclusion, par ces quelques mots, pour caractériser, systématiser ce lieu, ce moment de démocratie directe, anonymat et effort collectif mené dans l’enthousiasme. ■