Entretien avec Laurent Petitgirard, Secrétaire perpétuel de l’Académie des beaux-arts
L’Académie des beaux-arts assume, depuis son origine, des missions qu’elle s’attache à poursuivre mais aussi à faire évoluer afin de s’inscrire au mieux dans le paysage artistique et culturel contemporain. Le Secrétaire perpétuel Laurent Petitgirard définit la ligne de conduite et fixe de nouvelles ambitions pour une Académie en parfaite adéquation avec son temps.
Nadine Eghels : Quelles sont les missions de l’Académie des beaux-arts et plus particulièrement celles que vous vous êtes données en tant que Secrétaire perpétuel ?
Laurent Petitgirard : Je voudrais rappeler ici notre mission de base : établir une sorte de lien entre passé et futur à travers un rôle de conseil des pouvoirs publics, voire même de lanceur d’alerte. C’est un rôle dont l’Académie s’était un peu éloignée ces dernières années et que j’ai à cœur de revivifier. Cette mission de conseil et de vigilance concerne à la fois le patrimoine, le soutien à la création et la formation des artistes d’aujourd’hui. Aujourd’hui l’accès pour tous à l’art et à la culture n’est compris que sous l’angle de la démocratisation. Et c’est là que nous avons un rôle de vigilance à jouer : quels que soient les moyens par lesquels on va faciliter l’accès du plus grand nombre à l’art et à la culture, ce ne doit jamais être par un rabaissement de la proposition artistique ou culturelle. Cet aspect de veille est essentiel, c’est un de mes objectifs principaux et il s’agit donc pour l’Académie de retrouver de l’influence auprès des instances décisionnaires.
Cela passe par un très haut niveau de recrutement des académiciens : pour chaque section, il s’agit d’élire des maîtres dans leur discipline, indépendamment de critères esthétiques comme voudrait parfois nous les imposer le monde des critiques d’art ; le pire des académismes serait en effet d’aller vers un style en suivant une seule ligne esthétique. À partir du moment où se côtoient des options artistiques très différentes, ce qui est en commun c’est l’exigence de qualité, de connaissance, de recul et de tolérance.
N.E. : Il y a aussi les fondations de l’Académie
L.P. : Une de nos missions est bien sûr la gestion des grandes fondations et musées comme Giverny, Marmottan, d’autres aussi moins connues, comme la Fondation Dufraine, qui va bénéficier d’importantes rénovations, la Bibliothèque Marmottan, autrefois gérée par délégation par la ville de Boulogne-Billancourt mais dont nous avons repris le contrôle et qui va évoluer en musée d’une part, en résidence pour musiciens d’autre part, sans oublier la Villa Ephrussi. Mon souhait est de développer les résidences d’artistes, à la Fondation Dufraine, bien sûr mais aussi à la Cité internationale des arts à Paris où nous allons réhabiliter quatre grands ateliers sur le site de Montmartre. Ce sera une résidence ouverte pour des artistes français et étrangers, avec une sélection opérée en partenariat avec la Cité internationale des arts et avec un investissement plus significatif que la simple mise à disposition des lieux, puisque les pensionnaires seront aussi boursiers. Tout cela vise à remettre l’Académie au centre de la jeune création contemporaine.
N.E. : Et les prix et concours ?
L.P. : Notre soutien à la création artistique se marque aussi dans les nombreux prix que nous décernons, prix de consécration comme le dernier-né, le prix William Klein (décerné en alternance avec le Prix de Photographie Marc Ladreit de Lacharrière qui, lui, accompagne un projet) ou le Grand Prix Del Duca (qui récompense une année un peintre, }
} la suivante un sculpteur, la suivante un graveur, tous confirmés, tandis que les autres années des prix d’encouragement sont donnés dans les trois sections concernées). Chez les musiciens, ce prix est divisé entre une commande qui sera ensuite jouée sous la Coupole du Palais de l’Institut de France, et un prix décerné à un interprète dont on salue la carrière.
Les prix de dessin Pierre David-Weill et de gravure Mario Avati sont également des prix importants. Enfin il y a quantité de prix pour les jeunes artistes, comme les Prix Pierre Cardin...
En ce qui concerne les prix, je voudrais souligner que nous n’accepterons plus que les prix dotés, financés par une somme bloquée, ce qui nous garantit une pérennité sur au moins une cinquantaine d’années, car il faut que ces prix soient stables.
Ajoutons un point essentiel dans ce dispositif : les aides aux artistes en difficulté, attribuées avec une extrême rigueur, afin de les soutenir efficacement sans nous substituer aux services sociaux.
Enfin n’oublions pas l’aspect « encouragement » : nous intervenons par exemple pour aider un jeune artiste à monter sa première exposition, à publier un catalogue, à terminer un projet.
N.E. : Quels sont les autres tâches de l’Académie des beaux-arts ?
L.P. : Nous abordons là les travaux de l’Académie. Il y a les conférences publiques, que je souhaite faire évoluer autour d’un thème annuel. Et puis les communications à destination des académiciens et des correspondants, qui nous permettent d’explorer plus précisément un dossier qui nous concerne – par exemple, lorsque l’Académie s’est penchée sur la question de la restitution du patrimoine africain, nous avons reçu des personnes concernées et compétentes qui nous ont éclairés afin que nous puissions assumer notre mission de conseil en toute connaissance de cause.
Moins visibles que les prix, concours et fondations, les travaux de l’Académie sont importants et c’est pourquoi nous nous attachons à élire de nouveaux membres qui seront là pour s’y atteler avec nous. Oui, de grands artistes, mais de grands artistes présents ! À une star médiatique, nous préférerons toujours un artiste de qualité qui pourra s’investir, assister à nos séances et partager la vie de notre Compagnie. Au fond, nous sommes un cénacle. En dehors des travaux académiques, les artistes très divers qui composent notre Compagnie se retrouvent, échangent des idées, vont voir des expositions et enrichir leurs connaissances dans des conditions privilégiées... Tout cela contribue à souder l’ensemble, à lui donner plus de force. Sur beaucoup de sujets, l’Académie émet des avis à la quasi-unanimité, ce qui est étonnant au regard de la diversité des membres. Au-delà des carrières, des sensibilités..., nous nous retrouvons au nom des valeurs d’exigence et de qualité communes, et non en fonction de nos esthétiques singulières. C’est ainsi que nous avons pu élire, dans la section de Peinture, à la fois Gérard Garouste et Fabrice Hyber, deux artistes complètement différents, et qui s’estiment beaucoup.
N.E. : Comment voyez-vous l’Académie sur le plan de son organisation, quels changements comptez-vous y apporter ?
L.P. : J’ai été à bonne école pendant de longues années lorsque j’étais président de la Sacem, et je veux aujourd’hui optimiser le fonctionnement de notre Compagnie. À partir du moment où on développe les activités, où on multiplie les prises de position de l’Académie, il faut développer la communication, nous saisir des dossiers dès leur élaboration. Nous voulons désormais être informés de ce qui se passe dans les secteurs qui nous concernent, avant les votes au Parlement ou les transpositions de directives européennes, de façon à pouvoir exercer une influence, ou du moins le tenter. Nous devons réagir en amont et non plus en aval, et nous donner les moyens de le faire. Par nos contacts avec les puissances publiques, les grands décisionnaires, gestionnaires et financiers, nous devons être informés afin de pouvoir exercer nos compétences, qui sont réelles. Car il ne faut pas l’oublier, nous sommes immortels...
N.E. : Pouvez-vous préciser votre pensée ?
L.P. : Depuis mon élection à l’Académie des beaux-arts, treize ministres de la culture se sont succédés. Nous sommes élus pour la vie, nous n’avons pas d’échéance, nous n’avons rien à prouver et nous sommes à des moments de nos carrières où les choses sont établies ; aussi nous ne recherchons rien pour nous-mêmes, et nous pouvons donc émettre des avis pertinents sur le long terme. J’ai la ferme volonté de nous organiser différemment afin d’augmenter notre influence et le champ d’exercice de nos compétences. Nos deux grands musées/fondations sont entre les mains d’excellents gestionnaires, l’un à Giverny a notamment été le directeur de l’Opéra national de Paris, l’autre, à la Fondation Marmottan, de France-Télévision. C’est la chance de notre section des Membres libres, de pouvoir recruter des personnalités particulièrement qualifiées pour la gestion de tout ce qui concerne les métiers et les pratiques artistiques – compétence que les artistes n’ont généralement pas, sauf peut-être les architectes.
Un autre objectif : conforter la place des correspondants, qui ne sont pas des « sous-académiciens » mais des membres associés à la compagnie, très engagés dans nos travaux et dont la parole est essentielle.
N.E. : Comment comptez-vous accroître la visibilité extérieure de l’Académie ?
L.P. : Nous allons développer nos lieux d’exposition. C’est dans cet esprit que nous avons complètement restauré le Pavillon Comtesse de Caen qui est devenu un lieu d’exposition permanent. Mais nous ne sommes pas là pour faire notre propre promotion.
Dans cet esprit d’ouverture au public, nous agrandissons aussi la bibliothèque Marmottan et ouvrons des lieux de résidence, en étant extrêmement rigoureux sur la gestion de manière à conforter nos moyens d’intervention.
Il y a aussi cette Lettre de l’Académie des beaux-arts, notre nouveau site Internet et notre présence sur les réseaux sociaux, précieux outils de communication et de diffusion de l’esprit qui anime aujourd’hui notre Compagnie.
Augmenter notre influence et le champ d’exercice de nos compétences »
N.E. : Quelles sont, seront les relations entre l’Académie et l’Institut de France ?
L.P. : Au sein de l’Institut il y a six secrétaires perpétuels (deux pour l’Académie des Sciences), qui sont tous à égalité. L’Institut, c’est la réunion des cinq académies et le Chancelier est le directeur des services communs et du lieu, les académies gardant une autonomie complète. Le Chancelier actuel, Xavier Darcos, a apporté un souffle nouveau extrêmement bénéfique. Organiste confirmé, il est très proche des arts et très attentif à nos travaux.
N.E. : Pourriez-vous résumer les fondements et enjeux de votre action ?
L.P. : En un mot, je souhaite élargir profondément le champ d’action de l’Académie, et pour ce faire, en renforcer la structure. Avancer dans le respect du droit et de la déontologie. Décentraliser en allant tenir nos séances en région, comme à Versailles, Marseille et Avignon, afin d’ouvrir la maison, de rencontrer d’autres artistes et animateurs culturels.
Je pense aussi qu’il n’y avait pas assez d’interférences entre les différentes sections, j’avais envie de rajouter de la convivialité. Cultiver le plaisir de travailler, d’échanger et d’être ensemble. Renforcer également la collaboration avec les autres académies. Cette année nous avons travaillé avec l’Académie des Sciences morales et politiques dans le cadre d’une session commune où je suis intervenu sur le rayonnement de l’art français dans le monde ; nous avons travaillé avec l’Académie des Sciences sur le patrimoine et sa préservation. Un autre sujet me tient à cœur : l’évolution du droit moral. Nous allons y consacrer un grand dossier auquel vont participer toutes les autres académies.
Enfin l’ouverture de notre Académie à l’international est une question primordiale. On s’aperçoit que les académies artistiques ont beaucoup de retard par rapport aux académies scientifiques, qui ont l’habitude de collaborer. Mais nous allons créer des liens à travers nos lieux d’expositions et nos prix internationaux. Si de nos jours les artistes échangent individuellement sur le plan international, l’échange collectif à partir d’une compagnie comme la nôtre doit s’organiser. Avec certains pays, comme la Chine, les choses vont vite car il y a un vrai désir de part et d’autre. Cela génère de nombreux échanges, mais nous restons très exigeants quant aux partenaires avec qui nous allons travailler, comme par exemple le musée de l’Image de Chengdu pour le tout nouveau Prix de photographie William Klein.
Nous avons la chance d’être dans un cadre extraordinaire, qui traduit la pérennité de notre institution. Les belles symboliques de l'habit ou de l’épée attachées aux académies ne doivent pas faire oublier l’essentiel de notre action qui est résolument tournée vers l’avenir.
Les arts français à l’étranger
L’Académie des sciences morales et politiques organisait, le 14 octobre dernier, un entretien académique autour du thème « Le rayonnement artistique de la France » et invitait, à cette occasion, plusieurs membres de l’Académie des beaux-arts. Cet évènement était suivi d’une communication par Laurent Petitgirard « Les arts français à l’étranger : rayonnement et disparités ». En voici un résumé :
« Si les disparités entre les arts sont très importantes et induisent donc le recours à différents modes de soutien, la réussite des artistes français dans le monde dépend en premier lieu de leur capacité d’attirer, d’intéresser puis de convaincre les interlocuteurs étrangers influents dans leur domaine d’expression.
Mais cette importance des artistes français, qui fleurit si souvent dans les discours de nos dirigeants, doit être mieux prise en compte dans leurs actes.
Cela devrait commencer par une plus grande attention dans le choix des dirigeants de nos grandes institutions culturelles en veillant à nommer des personnalités ouvertes et éloignées de tout sectarisme.
On résume trop souvent le soutien de la puissance publique à la création artistique à une froide analyse des chiffres du budget de la culture, alors que la dimension affective est essentielle.
L’Académie des beaux-arts va prendre l’initiative de relations avec les académies étrangères les plus représentatives, développer considérablement ses résidences d’artistes toujours ouvertes à des créateurs de toutes nationalités, augmenter et embellir ses lieux d’exposition, soutenir fermement les initiatives visant à exporter les œuvres des créateurs français.
Ses membres, heureux d’appartenir à une institution où tous les domaines de l’art dialoguent en permanence, savent que la création est un flux constant qui s’enrichit de la découverte et du partage avec les artistes du monde entier.
Nous sommes tous ici déterminés à agir ensemble afin d’aider notre pays à voir plus grand, à aller plus loin, à avoir confiance dans sa capacité à étonner le monde. »