André Breton, on le sait, préférait les arts océaniens aux arts africains. Il justifia son point de vue (en particulier dans une célèbre préface au catalogue de l’exposition « Océanie » de la galerie André Olive à Paris en 1948) en reprochant un manque de spiritualité à l’art africain, accusé de se limiter à des « variations sempiternelles sur les apparences extérieures de l’homme et des animaux, la fécondité, les travaux domestiques, les bêtes à cornes... ».
En bref, une sorte de « spiritualité utilitaire », un art magique donc nécessairement inférieur, comme le proclamait déjà Durkheim, à l’art véritablement religieux car détournant le sacré à des fins intéressées et individuelles.
Naturellement, en polémiste efficace, Breton force volontairement le trait en feignant d’oublier que « l’insaisissabilité formelle », qui selon lui fonde la supériorité poétique de l’art océanien, n’est pas étrangère à nombre d’œuvres africaines.
Il suffit, par exemple de penser au Boli des populations Bambara, dont la forme est en mutation constante au fur à mesure des rituels dont il est l’objet et par là-même échappe, malgré sa puissance esthétique, à la main d’un auteur unique.
Plus largement, il force volontairement le trait en réduisant les arts de l’Afrique à un type exclusif de sculpture et de rituel. Car la puissance de la sculpture africaine, son caractère habité, qui fut le choc que l’on sait pour les artistes occidentaux du début du XXe siècle, tient précisément à la diversité, à l’entrelacement de fonctions religieuses, magiques, dynastiques, elles-mêmes fort différentes d’un bout à l’autre du continent et de son histoire.
Divin, sacré, magique, objet de pouvoir, de guérison, de malédiction, d’intercession, de soumission : toutes ces dimensions s’entrecroisent dans les arts d’Afrique à des degrés et selon des formes commandées par les systèmes politiques, religieux, mystiques qu’ils servent.
La représentation de la Divinité elle-même est bien présente dans certaines cultures africaines : que l’on pense par exemple au Dieu Shango des Yoruba ou encore au Dieu Gou dont une célèbre représentation réalisée dans une logique plastique finalement très proche de celle de la statuaire religieuse occidentale est aujourd’hui exposée au musée du Louvre. On connaît même le nom de son auteur, Ekplékendo Akariti.
À l’opposé, pourrait-on dire, d’autres productions religieuses comme le Boli cité plus haut ou encore les figures et sanctuaires Vodoun du Bénin sont conçues comme de simples réceptacles de la divinité ou d’esprits sans prétendre nécessairement en évoquer la forme.
Le champ du sacré dans les arts africains est donc aussi vaste que fluide.
Deux formes sculpturales y occupent cependant un espace particulier à la fois parce que, même si on les retrouve dans nombre de cultures hors du continent africain, elles sont largement répandues sur celui-ci, mais aussi parce qu’elles ont conduit à la réalisation de puissants chefs d’œuvres : les figures d’ancêtres et les masques.
En Afrique, il est presque toujours laissé au sculpteur une large liberté de traitement et d’interprétation du canon stylistique et même fonctionnel de l’œuvre dont il lui a été passé commande. Il en résulte non seulement une grande variété de traitements artistiques à l’intérieur d’un groupe de sculptures destinées a priori à remplir la même fonction sociale ou spirituelle, mais aussi le choix par l’artiste de « solutions plastiques », pour reprendre une expression chère au regretté Jacques Kerchache, qui se révèlent souvent d’une formidable hardiesse.
Le même Jaques Kerchache n’avait pas voulu inclure de masques dans le choix de chefs-d’œuvre africains qu’il rassembla, à la demande du Président Jacques Chirac, pour le Pavillon des Sessions du musée du Louvre : un masque est une sorte de « topos » trop attendu lorsqu’il s’agit d’art africain, pensait-il.
Pour ce lieu, il choisit avec pertinence de privilégier des sculptures verticales, prêtes à dialoguer plus immédiatement avec les œuvres médiévales européennes des salles voisines.
Il n’en demeure pas moins que les masques, dans leur infinie diversité, habitent au cœur du génie et de la spiritualité africaine : depuis les immenses masques Dogon ou Bobo jusqu’aux masques dits « passeport » de certains peuples d’Afrique centrale, la taille, la fonction, la manière d’être porté, les conditions à réunir pour qu’il soit vu et par quels acteurs ou spectateurs, varient semble-t-il sans limites.
Certains masques, comme ceux de la société du Poro, sont chargés comme des objets médicinaux, enduits de sang d’animaux et portés à bout de bras. À l’opposé les célèbres masques de course Dan, polis et lustrés comme une laque japonaise, reproduisent d’infimes détails particuliers à un visage humain sur lequel ils pourraient presque sembler avoir été moulés.
De telles œuvres font miroiter toutes les facettes du sacré : liées à des rituels de séduction ou d’initiation, façonnés à la ressemblance d’une beauté canonique ou d’un esprit de la forêt, leur pur éclat nous interpelle au-delà de leur mission spirituelle dont nous ressentons pourtant, inaccessible pour nous, la présence.
Le besoin de représenter l’Ancêtre, le fondateur du clan ou de la lignée royale dont la généalogie est par ailleurs soigneusement transmise, est sans doute l’urgence sacrée qui a propulsé quelques artistes africains, hélas anonymes, au sommet de l’art humain de la sculpture.
Le peuple Fang et quelques sociétés voisines ou apparentées ont commandé à des maîtres admirables les figures de bois et de métal chargées de veiller sur les ossements choisis des grands ancêtres. Même privées de leurs forêts natales et de la lumière rare qui devaient être leurs compléments, ces œuvres irradient d’une spiritualité qui transcende les différences culturelles de ceux qui les contemplent.
Seule une petite partie de leur vérité, de leur force, de leur mystère nous parvient, bien sûr. Mais le désir éternel de l’homme de transcender son passage sur terre éclate dans ces courtes sculptures luisantes, comme rarement un humain sculptant le bois sut le rendre sensible dans l’histoire de l’art.