Par Brigitte Terziev, membre de la section de Sculpture.
Comme des reliques, le cliquetis des métaux chuchote à notre mémoire l’origine et les fondations de la planète Terre : fer, plomb, mercure, zinc, or, soufre, argent etc. Tout ce qui a façonné cette argile aux multiples potentiels jusqu’à l’arrivée du corps vivant. Avant, dans ce milieu ambiant, la nature décidait seule et très lentement des mutations des plantes et des animaux et même du cerveau humain ; lui aussi prend un certain temps à se développer, pour tout à coup accélérer en puissance.
Arrivé bien tard dans la chronologie des espèces et face à cet héritage, l’homme de la préhistoire possède une énergie farouche, son corps imprégné, métamorphosé par les humeurs garde encore pour longtemps les stigmates et la force du chaos.
Comme si un dieu énigmatique jouant aux dés avec le monde avait fait grâce de la vie des hommes par la magie du hasard.
Dans une lutte inégale, l’homo sapiens se débat entre la nature déchaînée et les prédateurs de tous bords.
Ce fameux jongleur pensif aurait pu regarder avec condescendance cette étrange créature humaine incarnée dans son jeu, se débattant avec vigueur contre son destin qu’il récuse.
Est-ce l’énergie du désespoir ou déjà un rugissement de l’inconscient ? L’homme prend enfin connaissance d’un élément nouveau, une sorte de rythme intérieur, une puissance qui s’instaure en lui-même : la force de l’esprit.
Une multitude de possibilités se révèle alors par cette pulsion invisible. La grotte, auparavant simple cachette de survie devient territoire, repaire, plan d’attaque pour la chasse ; mais aussi initiation, invitation au voyage vers l’inconnu. Un lieu de réflexion dans son sens littéral. Que faire de l’empreinte d’une main, de cette maîtrise du dessin, la reconnaissance de son propre corps ou de son congénère, ou d’un animal qu’il rêve de saisir ?
Pourquoi cette furieuse envie de faire résonner sa voix dans le gouffre, la joie intense de rythmer des pas, de communiquer avec les autres vivants, former un langage et chercher des dieux inaccessibles, quelquefois protecteurs.
Parce que la mort toujours présente est incompréhensible ; même si en rêve le joueur de dés ricane : il sait lui, qu’un début engage toujours une fin inéluctable.
Devant l’insolence de ce néant, l’homme doit faire face en y donnant du sens.
Le rite funéraire en est un des moyens. Il fait office de passage, de nourriture spirituelle, de viatique. L’imaginaire apportera dans son élan un potentiel créatif qui ne fera que s’enrichir par la suite des temps en puissance et beauté.
Cela ne l’empêche pas de poursuivre cette soif d’indépendance, ce magnétisme vers l’énigme qui l’entoure ; cette forte sensation de soufre, de tragédie qui le menace. L’angoisse est là. Sa solitude devient chant, danse, dessin pour une quête indicible ; il forge l’immatériel dans l’ivresse de l’expression créatrice. C’est dans la représentation de son propre vertige, dans cette cérémonie secrète, que se profile l’offrande de son œuvre, le meilleur de lui-même.
Aurait-on oublié cette aventure profonde, ce pouvoir ancestral de l’art ?
Cet hominidé du fond des âges avait déjà ressenti dans son inconscient la symbiose du corps et de l’esprit comme l’élément fondamental de survie humaine ; ce que l’homme d’aujourd’hui trop instruit de concept et d’intelligence rationnelle a tendance à ne plus comprendre.
Le mot “Art” a pris des connotations diverses à travers les siècles, bien souvent en marge d’une société, et même de toute une époque. Mais dans son acception profonde, son souffle puissant ne résonnait-il pas déjà sur les parois des cavernes, comme le premier vrai cri de l’humanité face à la flèche du temps ?
De nos jours les plus aventureux peuvent voir entre l’art et la science un même état de fascination.
Obstiné, au fur et à mesure de notre évolution, à l’écoute du rythme intérieur, le chercheur invite des inconnus à sa table : ainsi, la connaissance de son propre corps, comme foyer d’émerveillement dont il partage et révèle pour nous encore aujourd’hui un à un les secrets.
Le joueur de dés n’a qu’à bien se tenir...
À l’œil perdu du premier homme noyé dans le silence des étoiles, nous répondons aujourd’hui par notre soif de découverte. La connaissance progressive du cosmos nous entraîne vers l’espace et sa beauté envoûtante.
Ainsi le grand désir de l’astrophysicien Rolf Heuer : “Communiquer avec l’au-delà et voir la première lueur de l’univers sombre, l’autre côté du trou noir ”